Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
risquée.
Nous étions moins d’une dizaine, répartis dans notre grosse voiture, deux Jeep et deux Dodge. Nous faisions vite. Toujours à la course. Les nuits ne duraient pas.
Les gens dont nous nous chargions directement étaient ceux qui relevaient a priori de plusieurs secteurs ou qui n’étaient rattachés à aucun, ce qui était le cas lorsqu’ils étaient en dehors d’Alger.
Parmi les opérations qui nous revenaient et auxquelles je participais, la plupart amenaient à des interrogatoires. D’autres aboutissaient à des liquidations pures et simples qui se faisaient sur place.
Je me souviens, par exemple, de femmes qui avaient dénoncé les auteurs d’assassinats. Les coupables se cachaient dans une cabane près de la forêt de Zeralda. C’était dans le secteur de Fossey-François. Nous ne primes pas la peine de procéder aux interrogatoires et les hommes furent exécutés sur-le-champ.
Nous ne ramenions jamais plus d’une demi-douzaine de suspects à la fois. Le cas de ceux qui entraient aux Tourelles était considéré comme assez grave pour qu’ils n’en sortent pas vivants. C’étaient ceux qui avaient participé directement à des attentats. Pendant ce temps, chaque régiment de la 10 e DP procédait de son côté aux interrogatoires des suspects qu’il avait arrêtés. S’il arrivait que les renseignements obtenus dépassent les limites de compétence territoriale du régiment, on m’envoyait le prisonnier et je l’interrogeais à nouveau. Par exemple, les hommes de Bigeard pouvaient avoir arrêté quelqu’un qui donnait des renseignements intéressant le secteur de Maison-Carrée, relevant de Mayer. Alors c’était à moi de prendre le relais et le suspect m’était livré.
Les jours de grande affluence, on m’envoyait systématiquement ceux que les régiments, submergés, n’avaient pas le temps d’interroger.
Nous procédions aux interrogatoires au fur et à mesure que les prisonniers arrivaient. Aux Tourelles, comme dans les régiments responsables de secteurs, la torture était systématiquement utilisée si le prisonnier refusait de parler, ce qui était très souvent le cas.
Les renseignements obtenus nous amenaient la plupart du temps à effectuer nous-mêmes une ou plusieurs autres sorties, par exemple pour trouver un dépôt d’armes, de munitions ou d’explosifs. Sinon, nous orientions les régiments compétents vers de nouvelles arrestations.
Lorsque nous devions repartir pour de telles vérifications, les prisonniers étaient, en général, gardés par un seul homme qui restait à la villa.
Quand un suspect avait parlé et qu’il semblait n’avoir plus rien à dire, le pire que nous pouvions lui faire était de le libérer séance tenante. Tel était le cas lorsqu’un prisonnier me faisait promettre de le relâcher s’il parlait. Mais c’était rare. Une fois lâché, il avait toutes chances d’être égorgé avant l’aube par le FLN.
La plupart du temps, mes hommes partaient à une vingtaine de kilomètres d’Alger dans des « maquis lointains » et les suspects étaient abattus d’une rafale de mitraillette, puis enterrés. Les exécutions n’avaient jamais lieu au même endroit. J’avais demandé à Garcet, mon adjoint, de s’occuper de désigner ceux qui seraient de corvée.
On me donnait aussi des gens qui, interrogés par les régiments, avaient parlé et dont on ne voulait plus. Dans ce cas, personne ne me demandait jamais ce que je comptais en faire. Bref, quand on voulait se débarrasser de quelqu’un, il finissait par arriver aux Tourelles.
À la fin de chaque nuit, je relatais les événements sur la page d’un carnet top secret, le manifold, qui permettait de rédiger manuellement un texte en quatre exemplaires, grâce à trois feuilles de carbone. L’original revenait à Massu et il y avait trois copies, une pour le ministre résidant Robert Lacoste, une pour le général Salan, la troisième pour mes archives. Bien entendu, je gardais toujours ce carnet sur moi.
Dans mon rapport, je centralisais les informations que chaque OR m’avait données au cours de la nuit. J’indiquais le nombre d’arrestations de chaque unité, le nombre de suspects abattus au cours des interpellations, le nombre d’exécutions sommaires pratiquées par mon groupe ou par les régiments. Il était rare que je note des noms, sauf lorsque j’estimais que cela avait quelque importance.
Je ne dormais presque plus. Au mieux, deux heures en fin de
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