Shogun
belle-fille n’a pas encore eu les premières
douleurs. Elles devaient commencer hier. Je pense que dame Ochiba s’en ira dès
qu’il n’y aura plus de danger.
— Avec trois filles, il est temps que Genjiko vous
donne un petit-fils. Je prierai pour sa naissance.
— Merci », dit Toranaga. Il l’aimait comme
toujours, sachant très bien qu’elle pensait ce qu’elle disait, bien qu’il
représentât un danger pour sa maison.
« J’ai entendu dire que votre dame Sazuko était
enceinte ?
— Oui, j’ai beaucoup de chance. » Toranaga pensa à
sa toute nouvelle concubine, à sa jeunesse et à sa tendresse. J’espère que nous
allons avoir un fils, se dit-il. Oui, ce serait très bien. Dix-sept ans est
l’âge idéal pour accoucher d’un premier enfant, avec une santé pareille.
« J’ai beaucoup de chance.
— Bouddha vous a béni. » Yodoko ressentit un
soupçon de jalousie. Il semblait injuste que Toranaga ait cinq fils vivants,
quatre filles et cinq petites-filles déjà et, avec l’enfant qu’attendait
Sazuko, les nombreuses concubines de sa maison et les années qu’il avait devant
lui, il pouvait encore engendrer beaucoup de fils. Mais elle, elle avait mis
tous ses espoirs en cet enfant de sept ans, son enfant autant que celui
d’Ochiba. Oui, il est autant le mien que le sien, pensa-t-elle. Combien j’ai pu
haïr Ochiba au début…
Elle vit que tous la fixaient et elle en fut surprise.
« Oui ? »
Yaemon fronça les sourcils : « J’ai dit, puis-je
m’en aller ? Puis-je prendre ma leçon, mère ? Je vous l’ai dit deux
fois.
— Je suis désolé, mon fils, je rêvais. C’est
ce qui arrive quand on devient vieille. Allons-y. » Kiri l’aida à
se relever. Yaemon courut en avant. Les Gris étaient déjà debout et l’un d’eux
passa affectueusement son bras autour des épaules de l’enfant. Les quatre samouraïs
qui avaient escorté dame Yodoko attendaient à l’écart.
« Faites un bout de chemin avec moi, Sire Toranaga.
Voulez-vous ? J’ai besoin de m’appuyer sur un bras robuste. »
Toranaga se mit debout avec une agilité surprenante. Elle p rit
son bras, mais n’en utilisa pas la force. « Oui, j’ai besoin d’un bras
robuste. Yaemon en a besoin. Le royaume aussi.
— Je suis toujours prêt à vous servir », dit
Toranaga. Quand ils se furent éloignés des autres, elle lui dit très calmement : « Devenez l’unique régent. Prenez le pouvoir.
Gouvernez seul. Jusqu’à ce que Yaemon ait atteint l’âge de gouverner.
— Le testament du Taikô l’interdit, même si je le
souhaitais, ce qui n’est pas le cas. Les dispositions prises interdisent qu’un
seul régent prenne le pouvoir. Je ne recherche pas le pouvoir pour
moi tout seul. Je ne l’ai d’ailleurs jamais recherché.
— Tora-chan, dit-elle, utilisant le diminutif que le Taikô
lui avait donné, nous avons peu de secrets, vous et moi. Vo us pourriez
le faire si vous le vouliez. Je réponds de la dame Ochiba.
Prenez le pouvoir, devenez shôgun et faites…
— Madame, ce que vous dites là est une trahison. Je- ne-cherche-pas-à-devenir-shôgun.
— Bien sûr, mais écoutez-moi, une dernière fois.
Devenez shôgun, faites de Yaemon votre seul héritier, votre seul héritier. Il pourrait être shôgun après vous. Sa lignée
n’est-elle pas Fujimoto – par dame Ochiba jusqu’à son grand-père Goroda et par
lui jusqu’à l’Antiquité ? Fujimoto ! »
Toranaga la fixa. « Vous croyez que les daimyôs accepteraient, une telle chose ou que Sa Majesté, le Fils
du Ciel, soutiendrait cette proposition ?
— Non. Pas si elle venait de Yaemon lui-même. Mais si
vous étiez d’abord shôgun et que vous l’adoptiez, vous pourriez tous les
persuader. On vous soutiendra, dame Ochiba et moi.
— Elle est d’accord sur ce projet ?
— Nous n’en avons jamais parlé. C’est mon idée. Mais
elle acceptera. Je réponds d’elle. À l’avance.
— Voilà une conversation impossible, madame.
— Vous pouvez mener Ishido et tous les autres par le
bout du nez. Vous l’avez toujours fait. J’ai peur de ce que j’entends.
Tora-chan. Rumeurs de guerre, prises de parti. Les Années noires recommencent.
Si la guerre éclate, elle ne finira jamais. Elle engloutira Yaemon avec elle.
— Oui, je le crois. Oui, si elle éclate, elle sera
éternelle.
— Alors, prenez le pouvoir ! Faites ce que vous
voulez, à qui vous voulez, comme vous le voulez. Yaemon est un
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