Shogun
épuisé. Il attendit que le capitaine des Gris ait rejoint la
tête de la colonne pour murmurer cet avertissement en latin : « Ce
centurion comprend l’autre langue.
— Je crois qu’il comprend le latin, également,
murmura-t-elle. Vous êtes très courageux, Anjin-san. Je vous remercie d’avoir
sauvé la vie à sire Toranaga.
— Vous avez fait preuve d’un plus grand courage.
— Non. Le Seigneur n’a fait que guider mes pas sur le
sentier et me rendre utile. Je vous remercie encore.
— Vous êtes courageuse. Je vous remercie. Les flèches
ne sont pas parties parce que vous me faisiez un bouclier de votre dos.
— Non, capitaine. C’était la
volonté divine.
— Vous êtes courageuse et vous êtes belle. »
Elle marcha pendant un moment en silence. Personne ne m’a
jamais dit que j’étais belle. Personne, pensa-t-elle. « Je ne suis pas
courageuse et je ne suis pas belle. Les épées sont belles. L’honneur est beau.
— Le courage est beau et vous en avez à
revendre. »
Mariko ne répondit pas. Elle se souvenait de ce matin, de tous les mots horribles, de toutes ses détestables pensées.
Comment un homme peut-il être aussi courageux et aussi stupide, aussi doux et
aussi cruel, aussi touchant et aussi haïssable , toutes ces
choses en même temps ? L’Anjin-san avait fait preuve d’un courage sans
bornes pour détourner l’attention d’Ishido de la litière et avait été vraiment
habile pour parvenir à feindre la folie et sortir Toranaga de la souricière.
Qu’il était sage de la part de Toranaga de s’échapper de cette manière !
Sois prudente, Mariko, se dit-elle . Pense à
Toranaga ! Pas à cet étranger.
La colonne avançait à travers la ville, en direction de la
mer. Blackthorne vit Yabu et les hurlements de Pieterzoon lui traversèrent
l’esprit momentanément. « Une seule chose à la fois, murmura-t-il.
— Oui, disait Mariko. Ce doit être très difficile pour
vous. Notre monde est si différent du vôtre. Très différent, mais très
sage. » Elle voyait, devant elle, la vague silhouette de Toranaga dans la
litière. Elle remercia Dieu encore une fois d’avoir permis son évasion. Comment
expliquer au barbare ce que nous sommes, comment le complimenter pour sa
bravoure ? Toranaga lui avait donné ordre de tout expliquer, mais
comment ? « Laissez-moi vous raconter une histoire, Anjin-san. Quand
j’étais jeune, mon père était général d’un daimyô qui s’appel ait Goroda. À cette époque-là, sire Goroda n’était pas encore u n grand dictateur, mais un daimyô qui se battait pour
accéder au pouvoir. Mon père invita donc Goroda et ses principaux vassaux à un
grand festin. Que nous n’ayons pas d’argent pour acheter les victuailles, le saké, les laques et les tatamis qu’une telle visite, par
coutume, exigeait ne lui effleura jamais l’esprit. Vous pourriez croire que ma mère était une très mauvaise maîtresse
de maison. Ce n’était pas le cas. La moindre parcelle des
revenus de mon père allait à son samouraï vassal et, quoiqu’il ait eu assez
d’argent pour entretenir quatre mille guerriers, ma mère se débrouillait en
grattant, rognant et économisant sur tout pour qu’il en entretienne cinq mille
trois cents pour la plus grande gloire de son maître et suzerain. Nous, la
famille, ma mère, les concubines de mon père, mes frères et sœurs, nous avions
à peine de quoi manger. Mais quelle importance ? Mon père et ses hommes
avaient les armes les plus modernes, les chevaux les plus racés. Il n’y avait donc p as assez d’argent pour organiser ce festin. Ma mère se
rendit alors chez un fabricant de perruques de Kyoto et vendit ses cheveux. Je
me souviens qu’ils lui tombaient jusqu’au bas du dos et
qu’ils étaient de jais. Mais elle les a vendus. Le perruquier les lui coupa le
jour même, lui donna une perruque bon marché. Elle put ainsi acheter tout ce
qui était nécessaire et sauver l’honneur de mon père. Il était de son devoir à
elle de payer les factures. Elle a fait son devoir. Pour nous, le devoir est
une notion très importante. La plus importante de toutes.
— Qu’a dit votre père quand il a découvert la
vérité ?
— Que pouvait-il dire ? Il ne pouvait que la
remercier. Il était du devoir de ma mère de trouver cet argent pour sauver son
honneur.
— Elle éprouvait beaucoup d’amour pour lui.
— L’amour est un mot chrétien, une pensée chrétienne,
un idéal
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