Shogun
Ils
arrachèrent le couteau des mains de Blackthorne. Un mince filet de sang coulait
sur sa peau, juste au-dessus du cœur, là où la lame avait pénétré.
Mariko et Yabu n’avaient pas bougé.
« Dites-lui, dites-lui que tout ce qu’il
aura appris sera jugé satisfaisant, Mariko-san. Ordonnez-lui… non,
demandez-lui, demandez à l’Anjin-san de jurer comme Omi-san l’a suggéré. Tout
ce qu’Omi-san a suggéré. »
Blackthorne revint doucement à la vie. Il les regarda
fixement puis jeta un coup d’œil sur le couteau, de très loin, sans comprendre.
Le torrent de la vie se remit à couler en lui à toute allure, mais il ne put en
saisir la signification, convaincu qu’il était d’être mort.
« Anjin-san ?
Anjin-san ? »
Il vit bouger ses lèvres, entendit ses paroles,
mais il concentrait toute son attention sur la pluie et la brise.
« Oui. » Sa voix était lointaine. Les autres étaient assis en
silence. Aucun homme, dans tout le Japon, n’avait jamais vu chose pareille.
Tout était tranquille. Cette absence de vie sembla
éternelle à Blackthorne. Puis ses yeux se mirent à voir, ses oreilles à
entendre.
« Anjin-san ?
— Hai ? » répondit-il dans un état de fatigue qu’il n’avait jamais connu
auparavant.
Mariko répéta ce qu’Omi avait dit comme si ça
venait de Yabu. Elle dut répéter plusieurs fois avant d’être certaine qu’il ait
vraiment compris. Blackthorne rassembla ses dernières forces. La victoire lui
était douce.
« Ma parole est suffisante, la sienne
aussi. Je jure quand même devant Dieu comme il le demande. Oui, je le jure.
Tout comme Yabu-san jurera devant son propre Dieu de respecter les clauses du
contrat.
— Sire Yabu est d’accord. Il le jure
devant le Seigneur Bouddha. »
Blackthorne accepta. Jamais le thé n’avait été
aussi délicieux. La tasse lui semblait trop lourde et il ne put la tenir très
longtemps.
« Pourquoi ne pas vous reposer,
Anjin-san ? Sire Yabu vous remercie et dit qu’il vous parlera demain.
Reposez-vous maintenant !
— Oui. Merci. Ce serait bien, en effet.
— Vous croyez que vous pouvez tenir sur
vos jambes ?
— Oui, je crois.
— Yabu-san demande si vous désirez un
palanquin ? »
Blackthorne réfléchit. Un samouraï doit
marcher… doit du moins essayer. Il ramassa le couteau lentement, l’étudia puis
le mit dans son fourreau. Tout cela lui prit beaucoup de temps.
« Je suis désolé d’être si lent,
murmura-t-il.
— Vous ne devez pas l’être, Anjin-san.
Vous renaissez à la vie, ce soir. C’est une autre vie. Une nouvelle vie, dit
Mariko fièrement. Peu de gens en reviennent. Ne soyez pas désolé. Nous savons
que cela exige beaucoup de courage. La plupart des hommes n’ont pas assez de
force ensuite pour se relever. Puis-je vous aider ?
— Non, merci.
— Ce n’est pas un déshonneur de se faire
aider. Je serais très honorée si vous me le permettiez.
— Merci. Mais je… je voudrais essayer
tout seul. »
Il ne put se mettre debout immédiatement. Il
dut se servir de ses mains pour s’agenouiller et se reposer quelques instants
afin de rassembler ses forces. Un peu plus tard, il se leva en hésitant,
vacilla, tomba, se releva en titubant.
Yabu s’inclina. Mariko, Omi et Igurashi
également.
Blackthorne avança comme un ivrogne pendant
les premiers mètres. Il s’agrippa à un pilier, s’y tint pendant un moment, puis
se remit en marche, vacilla, mais s’éloigna seul. Il garda une main sur son
épée fichée dans sa ceinture et s’en alla la tête haute. Yabu soupira et but
une bonne gorgée de saké. Quand il put parler, il dit à Mariko :
« Suivez-le et veillez à ce qu’il retourne chez lui sans encombre.
— Oui, Sire. »
Quand elle fut partie, Yabu se tourna vers
Igurashi. « Toi, espère de sale crétin d’imbécile ! »
Igurashi baissa les yeux et s’inclina vers la
natte, en signe de pénitence.
« Tu as dit que c’était de la comédie, neh ? Ta stupidité a failli me coûter un trésor inestimable !
— Oui, Sire, vous avez raison. Je vous
demande immédiatement la permission de mettre fin à mes jours.
— Ce serait trop beau pour toi ! Va
vivre aux écuries jusqu’à ce que je t’y fasse chercher ! Dors avec les
chevaux stupides ! Tu es un sinistre crétin avec une cervelle de cheval !
— Oui, Sire. Excusez-moi, Sire.
— Sors d’ici ! C’est Omi-san qui
commandera les mousquets. Sors d’ici ! »
Les
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