Shogun
revint quelques instants plus tard et
dit : « Une chose m’est venue à l’esprit, Omi-san. Tout ce que vous
avez dit au sujet de Jikkyu et de sire Ishido est juste. Mais si vous nous
conseillez de faire “disparaître” ces messagers, pourquoi jouer avec Jozen ?
Pourquoi tout lui raconter ? Pourquoi ne pas les tuer tout de suite ?
— Pourquoi pas, en effet ? À moins
que ça n’amuse Yabu-sama. Je trouve votre plan bien meilleur,
Igurashi-san. » Les deux hommes regardaient Yabu. « Comment puis-je
garder secrète l’existence des mousquets ? leur demanda-t-il.
— Tuez Jozen et ses hommes, répliqua Omi.
— Il n’y a pas d’autre
moyen ? »
Omi et Igurashi firent non de la tête.
« Je pourrais peut-être marchander avec Ishido, dit Yabu, troublé,
essayant de sortir du piège. Vous avez raison en ce qui concerne le temps qui
m’est imparti. J’ai dix jours, quatorze au plus. Comment agir avec Jozen et
avoir encore un peu de temps pour manœuvrer ?
— Vous seriez très sage en faisant
semblant d’aller à Osaka, dit Omi.
— Mais il n’y a pas de mal à en informer
Toranaga, neh ? L’un de nos pigeons
atteindrait Yedo avant le crépuscule. Peut-être.
Igurashi dit : « Vous pourriez
annoncer à Sire Toranaga l’arrivée de Jozen, la réunion du Conseil dans vingt
jours. Mais c’est trop dangereux de parler par écrit de l’assassinat de Sire
Ito, neh ?
— Je suis d’accord. Rien
concernant Ito. Toranaga y pensera tout seul. C’est évident, neh ?
— Oui, Sire. Impensable mais
évident. »
Omi garda le silence. Son cerveau cherchait
désespérément une solution. Yabu le fixait mais il n’avait pas peur. Ses
conseils étaient bons ; il ne les offrait que pour la protection de son
clan, de sa famille. Qu’Omi ait décidé de liquider Yabu et de changer de chef
de clan ne l’empêchait pas de le conseiller intelligemment. Il était prêt à
mourir. Si Yabu était stupide au point de ne pas accepter le bien-fondé de ses
idées, il n’y aurait plus de clan du tout. Yabu se pencha, toujours hésitant.
« Existe-t-il un moyen d’éliminer Jozen
et ses hommes sans danger pour moi ? Existe-t-il un moyen qui me permette
de rester neutre pendant dix jours ?
— Naga. Servez-vous de Naga comme
appât », dit Omi simplement.
À la tombée de la nuit, Blackthorne et Mariko
revinrent à cheval. Des cavaliers les suivaient. Ils étaient tous deux très fatigués.
Elle montait comme un homme. Elle portait de larges pantalons et un manteau
fermé par une ceinture, un chapeau à larges bords et des gants pour se protéger
du soleil. Plus la peau était blanche, plus la personne était de haut rang. Des
serviteurs se saisirent des rênes et emmenèrent les chevaux. Blackthorne
congédia ses cavaliers dans un japonais acceptable et salua Fujiko qui
attendait fièrement sous la véranda, comme d’habitude.
« Puis-je vous servir le thé,
Anjin-san ?
— Non, dit-il cérémonieusement. Je vais
d’abord prendre mon bain. Puis je prendrai du saké et je mangerai. » Il
lui rendit son salut, traversa le couloir de la maison, sortit dans le jardin,
prit l’allée circulaire qui menait à la maison de bain, au sol de terre
boueuse. Une servante lui prit ses vêtements. Il entra et s’assit, nu. Une
autre servante le frictionna, le savonna et l’aspergea d’eau. Puis, tout à fait
propre, il entra dans la grande baignoire de fer et s’étendit dans l’eau
chaude. Il laissa la chaleur s’infiltrer dans ses muscles, ferma les yeux. La
sueur ruisselait sur son front.
« Anjin-san ?
— Hai, Mariko-san ? »
Elle le salua : « Yabu ko wa
kiden no goshusseki o kou-ya wa hitmyo to senu to oserareru ,
Anjin-san. »
Les mots s’inscrivirent lentement dans sa tête
« Sire Yabu ne désire pas vous voir ce soir.
— Ichi ban , dit-il,
heureux. Domo .
— Gomen nasai , Anjin-san. Anatawa…
— Oui, Mariko-san »,
l’interrompit-il. La chaleur de l’eau lui enlevait toute son énergie. « Je
sais que j’aurais dû vous répondre différemment mais je ne veux pas parler
japonais aujourd’hui. Pas ce soir. Je me sens comme un écolier en vacances.
Vous rendez-vous compte que je goûte enfin mes premiers moments de liberté
depuis mon arrivée ?
— Oui. Je m’en rends compte, dit-elle,
moqueuse. Vous rendez-vous compte, senhor capitaine-pilote B’rack’fon, que je
goûte également mes premières heures de liberté depuis
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