Shogun

fait étonnant, Yabu-sama,
dit-il. Je comprends maintenant la raison du secret. Mon maître la comprend
également. Subtil. Très subtil. Et vous, Naga-san, vous n’avez rien dit de
toute la soirée. J’aimerais avoir votre opinion. Que pensez-vous de cette
mobilité ? De cette nouvelle stratégie ?
    — Mon père pense que toutes les
possibilités de faire la guerre doivent être envisagées, Jozen-san, répondit le
jeune homme.
    — Mais quelle est votre opinion
personnelle ?
    — J’ai été envoyé ici pour obéir, observer,
écouter, apprendre et tester. Pas pour exposer mon point de vue.
    — Bien sûr. Mais en tant que second, je
devrais dire en tant qu’illustre commandant en second, cette expérience vous
paraît-elle être un succès ?
    — Yabu-sama, Omi-sama ou mon père sont
mieux à même de vous répondre.
    — Mais Yabu-sama a dit que tout le monde
pouvait parler librement, ce soir. Qu’y a-t-il à cacher ? Nous sommes tous
des amis, neh ? Le fils aussi célèbre d’un
père aussi célèbre doit bien avoir une opinion, neh ? »
    Les yeux de Naga se fermèrent sous l’insulte
mais il ne répondit pas.
    « Tout le monde peut parler librement,
Naga-san. Qu’en pensez-vous ? dit Yabu.
    — Je pense que cette idée permettrait
probablement de gagner une escarmouche ou une bataille par surprise. Et
après ? » Il poursuivit d’une voix glaciale : « Les deux
côtés pratiqueront alors la même méthode. Des tas de gens mourront inutilement,
abattus sans honneur par un assaillant qui ne saura même pas qui il a tué. Je
doute que mon père ait recours à une telle méthode dans une vraie bataille.
    — L’a-t-il dit ?
    — Non, Yabu-sama. Je ne donne bien sûr
que mon opinion.
    — Mais le Régiment des mousquets… Vous
n’approuvez pas ce régiment ? Il vous dégoûte ? » demanda Yabu,
songeur. Naga le regarda de ses yeux de reptile. « Avec tout le respect
que je vous dois, puisque vous me le demandez : oui, il me dégoûte. Nos
ancêtres ont toujours su qui ils tuaient et contre qui ils se battaient. Notre
guide, c’est la Bushido, le guide du guerrier et du
vrai samouraï. Le meilleur gagne, neh ? Mais
ça ? Comment prouver sa valeur à son seigneur ? Comment votre
seigneur peut-il récompenser votre courage ? Charger contre des balles est
un acte courageux, certes, mais stupide. Où est la valeur ? Les mousquets
sont contraires au code du samouraï. Les barbares se battent de cette façon-là,
les paysans aussi » Naga poursuivit, toujours aussi menaçant :
« Quelques paysans fanatiques pourraient tuer des tas de samouraïs s’ils
avaient ces mousquets ! Oui, ils pourraient tuer n’importe lequel d’entre
nous, même le sire Ishido qui veut s’asseoir à la place de mon
père ! »
    Jozen se rebiffa. « Sire Ishido ne
convoite pas les territoires de votre père. Il cherche simplement à protéger
l’empire au profit de l’héritier légitime.
    — Mon père ne représente aucune menace
pour sire Yaemon ou pour le royaume.
    — Bien sûr, mais vous parliez de paysans.
Le Taikô était un paysan. Mon maître, Sire Ishido, en était un aussi. Je l’ai
été moi-même. J’ai même été ronin ! »
    — Naga ne cherchait pas querelle. Il
savait bien qu’il n’était pas un adversaire valable pour Jozen, dont les
prouesses à la hache et à l’épée étaient réputées. « Je ne voulais pas
vous insulter ni insulter votre maître, Jozen-san. Je voulais simplement dire
que nous autres, les samouraïs, nous devions veiller à ce qu’aucun paysan n’ait
d’armes, car nous ne pourrions plus dormir en paix.
    — Les marchands et les paysans ne seront
jamais un sujet d’inquiétude.
    — Je suis d’accord, ajouta Yabu. Je suis
également d’accord avec vous, Naga-san. Du moins partiellement. Mais les
mousquets sont des armes modernes. Les batailles ne se livreront bientôt plus
qu’avec des mousquets. Je suis d’accord, c’est dégoûtant. Mais c’est ça, la
guerre moderne. Il en sera toujours ainsi : le samouraï le plus courageux
sera toujours le vainqueur.
    — Désolé, mais vous avez tort,
Yabu-sama ! Que nous a raconté ce maudit barbare ? Quelle est
l’essence même de leur stratégie guerrière, d’après lui ? N’a-t-il pas
librement admis que toutes leurs armées étaient faites de conscrits et de mercenaires, neh ? Mercenaires ! Aucun sens du devoir
envers leurs seigneurs. Ces soldats ne se battent que pour