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Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
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s'écartent gauchement mais ne font pas mine d'accélérer l'allure.
    C'est presque un geste de routine, qui se répète tous les matins, et qui ne suppose pas toujours, de la part du Kapo, l'intention délibérée de nuire.
    Les quatre du Scheisshaus, au travail ! Et les voilà en route pour construire les nouvelles latrines. Car il faut savoir qu'avec l'arrivée des convois de Lödz et de Transylvanie, nous avons dépassé l'effectif réglementaire de cinquante Häftlinge, et le mystérieux bureaucrate allemand qui préside à ces sortes de choses nous a autorisés
    à
    ériger
    un
    «
    Zweiplätziges
    Kommandoscheisshaus », à savoir un W.-C. à deux places réservé à notre Kommando. Nous ne sommes pas insensibles à cette marque de considération, qui confère à notre Kommando un lustre particulièrement enviable : mais il est clair que cela nous prive du même coup d'un
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    prétexte commode pour interrompre le travail et mettre au point des combines avec les civils. « Noblesse oblige
    », dit Henri, qui a d'autres cordes à son arc.
    Les douze des briques. Les cinq de Meister Dahm.
    Les deux des citernes. Combien d'absents ? Trois absents. Homolka, entré ce matin au K.B., le Forgeron mort hier, François transféré on ne sait ni où ni pourquoi. Le compte est bon ; le Kapo prend note sur son registre, satisfait. Il ne reste plus que nous, maintenant, les dix-huit du phényl-bêta, plus les prominents du Kommando. Et voilà que survient l'imprévisible.
    Le Kapo dit : « Le Doktor Pannwitz a communiqué à l'Arbeitsdienst que trois Häftlinge ont été choisis pour le Laboratoire: 169509, Brackier ; 175633, Kandek ; 174517, Levi. Pendant un instant mes oreilles bourdonnent et la Buna tourne autour de moi. Au Kommando 98, il y a trois Levi, mais Hundert-Vierundsiebzig-Fünf-Hundert-Siebzehn c'est bien moi, pas de doute possible.
    Je fais partie des trois élus.
    Le Kapo nous toise avec un rire hargneux. Un Belge, un Roumain et un Italien : trois Franzosen en somme.
    Possible que ce soient juste trois Franzosen, les élus pour le paradis du Laboratoire ?
    Plusieurs camarades me félicitent ; Alberto le premier, avec une joie sincère, sans ombre d'envie.
    Alberto ne trouve rien à redire à la chance qui m'est échue, il en est même tout heureux, autant par amitié que parce qu'il en profitera lui aussi : car désormais nous sommes tous deux étroitement unis par un pacte d'alliance, à l'intérieur duquel chaque bouchée «
    organisée » est rigoureusement divisée en deux parties égales. Il n'a pas de motif de m'envier puisqu'il n'entrait ni dans ses espoirs ni même dans ses désirs de se faire
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    admettre au Laboratoire. Alberto, mon ami indompté, ne s'accommodera jamais d'un système ; il a dans les veines un sang bien trop libre ; son instinct le porte ailleurs, vers d'autres solutions, vers l'imprévu, l'improvisé, le nouveau. à un bon emploi, Alberto préfère sans hésitation les incertitudes et les batailles de la «
    profession libérale ».
    J'ai en poche un billet de l'Arbeitsdienst où il est écrit que le Haftlung 174517, en tant qu'ouvrier spécialisé, a droit à une chemise et à un caleçon neufs, et doit être rasé tous les mercredis.
    La Buna déchiquetée gît sous la première neige, silencieuse et rigide comme un immense cadavre ; on entend hurler tous les jours les sirènes du Fliegeralarm ; les Russes sont à quatre-vingts kilomètres. La centrale électrique est à l'arrêt, les colonnes du méthanol n'existent plus, trois des quatre réservoirs d'acétylène ont sauté. Chaque jour, les prisonniers « récupérés »
    dans tous les camps de Pologne orientale arrivent pêle-mêle dans notre Lager; quelques-uns partent au travail, mais pour la plupart, la trajectoire mène directement à Birkenau et à la Cheminée. Les rations ont encore diminué. Le K.B. est surpeuplé. Les E-Häftlinge ont introduit au camp la scarlatine, la diphtérie et le typhus pétéchial.
    Mais le Haftlung 174517 a été promu spécialiste, il a droit à une chemise et à un caleçon neufs, et doit être rasé tous les mercredis. Nul ne peut se flatter de connaître les Allemands.
    Nous sommes entrés dans le Laboratoire, timides, désorientés et sur la défensive comme trois bêtes sauvages qui s'aventureraient dans la grande ville. Que le carrelage est lisse et propre ! C'est un laboratoire étonnamment semblable à n'importe quel autre
    – 175 –

    laboratoire. Trois

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