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Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
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ou les poux. On a inventé au cours des siècles des morts plus cruelles, mais aucune n'a jamais été aussi lourde de haine et de mépris.
    Chacun sait que l'œuvre d'extermination atteignit une ampleur considérable. Bien qu'ils fussent engagés dans une guerre très dure , et qui plus est devenue défensive, les nazis y déployèrent une hâte inexplicable : les convois de victimes à envoyer aux chambres à gaz ou à évacuer des Lager proches du front, avaient la priorité sur les trains militaires. Si l'extermination ne fut pas portée à terme, c'est seulement parce que l'Allemagne fut vaincue, mais le testament politique dicté par Hitler quelques heures avant son suicide, à quelques mètres de distance des Russes, s'achevait sur ces mots. « Avant tout, j'ordonne au gouvernement et au peuple allemand de continuer à appliquer strictement les lois raciales, et de combattre inexorablement l'empoisonneuse de toutes les nations, la Juivène internationale. »
    En résumé, on peut donc affirmer que
    l'antisémitisme est un cas particulier de l'intolérance, que pendant des siècles il a eu un caractère essentiellement religieux ; que, sous le IIIe Reich, il s'est trouvé exacerbé par les prédispositions nationalistes et militaristes du peuple allemand, et par la « diversité »
    spécifique du peuple juif, qu'il se répandit facilement dans toute l'Allemagne et dans une bonne partie de l'Europe grâce à l'efficacité de la propagande fasciste et
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    nazie, qui avait besoin d'un bouc émissaire sur lequel faire retomber toutes les fautes et toutes les rancœurs ; et que le phénomène fut porté à son paroxysme par Hitler, dictateur maniaque.
    Cependant, je dois admettre que ces explications, qui sont celles communément admises, ne me satisfont pas : elles sont restrictives, sans mesure, sans proportion avec les événements qu'elles sont censées éclairer à relire les historiques du nazisme, depuis les troubles des débuts jusqu'aux convulsions finales, je n'arrive pas à me défaire de l'impression d'une atmosphère générale de folie incontrôlée qui me paraît unique dans l'histoire.
    Pour expliquer cette folie, cette espèce d'embardée collective, on postule habituellement la combinaison de plusieurs facteurs différents, qui se révèlent insuffisants dès qu'on les considère séparément, et dont le principal serait la personnalité même de Hitler, et les profonds rapports d'interaction qui le liaient au peuple allemand.
    Et il est certain que ses obsessions personnelles, sa capacité de haine, ses appels à la violence trouvaient une résonance prodigieuse dans la frustration du peuple allemand, qui les lui renvoyait multipliés, le confirmant dans la conviction délirante que c'était lui le Héros annoncé par Nietzsche, le Surhomme rédempteur de l'Allemagne
    L'origine de sa haine pour les juifs a fait couler beaucoup d'encre. On a dit que Hitler reportait sur les juifs sa haine du genre humain tout entier, qu'il reconnaissait chez les juifs certains de ses propres défauts, et que, haïssant les juifs, c'était lui-même qu'il haïssait ; que la violence de son aversion était due à la crainte d'avoir du « sang juif » dans les veines.
    Mais encore une fois, cela ne me semble pas concluant. On ne peut pas, me semble-t-il, expliquer un
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    phénomène historique en en attribuant toute la responsabilité à un seul individu (ceux qui ont exécuté des ordres contre nature ne sont pas innocents), et par ailleurs il est toujours hasardeux d'interpréter les motivations profondes d'un individu. Les hypothèses avancées ne justifient les faits que dans une certaine mesure, ils en expliquent la qualité mais pas la quantité.
    J'avoue que je préfère l'humilité avec laquelle quelques historiens, parmi les plus sérieux (Bullock, Schramm, Bracher),
    reconnaissent
    ne
    pas
    comprendre
    l’antisémitisme acharné de Hitler, et à sa suite de l'Allemagne
    Peut-être que ce qui s'est passé ne peut pas être compris, et même ne doit pas être compris, dans la mesure où comprendre, c'est presque justifier. En effet, «
    comprendre » la décision ou la conduite de quelqu'un, cela veut dire (et c'est aussi le sens étymologique du mot) les mettre en soi, mettre en soi celui qui en est responsable, se mettre à sa place, s'identifier à lui. Eh bien, aucun homme normal ne pourra jamais s'identifier à Hitler, à Himmler, à Goebbels, à Eichmann, à tant d'autres encore.

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