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S'il est minuit dans le siècle

S'il est minuit dans le siècle

Titel: S'il est minuit dans le siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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d’extraits du Bulletin dans une lettre de Perm, une lettre de Tchernoé, un livre saisi à Sémipalatinsk…
Tenez, ici, ici… à Sémipalatinsk une scission s’est produite, sept contre trois,
la minorité pour…
    Le bout du crayon bleu indique à d’immenses distances, aux
confins du continent, les villages perdus touchés par la contagion.
    – Avez-vous réagi ?
    – Non, j’observe…
    – Ah, c’est très bien…
    Il ne faut pas procéder trop vite aux arrestations, veiller,
laisser le mal grandir un peu ; la répression comme la guerre, selon
Clausewitz, est une forme de la politique. Nous sommes là pour fournir l’argument
et la preuve au moment utile : prouver que le mal existe, qu’il est
circonscrit, vaincu pour l’heure… Prouver que nous existons aussi…
    – Eh bien, agissez vite.
    L’un de ces hommes est gros et il a une voix d’enfant
essoufflé. Les deux petits rectangles rouges qu’il porte au col de la vareuse
le rendent protecteur, pour l’heure. Une pause de quelques secondes accroît l’importance
de ce qu’il va dire, bien d’aplomb dans son fauteuil, d’un ton confidentiel :
    – En réalité, vous savez, la directive émane du Bureau
politique. Il paraît qu’il l’a dictée lui-même… Soyez diligent…
    Le camarade Fédossenko n’avait pas eu le temps d’approfondir
le sens des principaux passages de la directive transmise par la région, quand
il reçut sous pli exprès, apporté par un motocycliste qui venait de franchir trois
cents kilomètres à travers les plaines vertes, copie d’une instruction
impérative, transmise à tous les chefs de services : en somme l’ordre d’agir.
Fédossenko se leva devant son bureau, parcouru de la nuque aux reins et dans
tous ses muscles d’un courant d’énergie : tant étaient prompts ses
réflexes de bon serviteur de l’État. Debout, il domina mieux la situation. Il
aspira beaucoup d’air dans sa puissante poitrine. Pas le moment de gaffer ni de
manquer de zèle ! L’énormité du risque lui donna la crainte de mal
comprendre. Se faire renvoyer aux chantiers du grand canal, ou rétrograder à
jamais vers quelque poste d’exécutant, d’exécuteur, à la lutte contre le
banditisme dans les forêts ! Cette peur lui brouilla la vue. Il alla
pousser le verrou de sa porte pour que personne ne le dérangeât ni ne vît son
désarroi. Les ordres, les directives plus impérieuses que des ordres, il faut
les relire jusqu’à trois, jusqu’à sept fois, jusqu’à les connaître par cœur, jusqu’à
ce que la lumière du devoir se fasse en vous, aveuglante : alors, on
marche devant soi, aucun doute ne vous débilite, on ne risque que de trop obéir,
trop agir, trop frapper et c’est toujours moins grave que pas assez… Tandis qu’il
relisait, des figures distinctes se levaient devant lui, s’estompaient, reparaissaient,
et il se détachait de sa lecture pour les bien voir : Ryjik, Elkine, Varvara,
arrivée de Verkhnéouralsk, – très important, ceci, – liée avec le jeune
Géorgien, Tabidzé, Avélii, – ils couchent ensemble depuis peu, – on les tient
peut-être l’un par l’autre, mais c’est douteux ; Kostrov, un indécis à
double face, en relations avec une indicatrice. Fédossenko fut content de
lui-même. Anticipant par une sûre intuition sur la directive, il tenait déjà
tout son monde : 1° par le chômage ; 2° Varvara, par l’affaire du
pain de sept livres, vol de produits appartenant à une coopérative ; 3° Kostrov
par l’affaire des douze cents cahiers, sabotage, menées contre-révolutionnaires,
duplicité à l’égard du Comité central, Kostrov ayant signé une déclaration de
repentir et de fidélité… Il en possédait le texte qu’il relut aussi ; les
rapports de l’indicatrice Marie Ismailova, bibliothécaire, qui consignait par
écrit tous ses entretiens avec Kostrov, mentionnaient une fois un passage du Bulletin
de l’opposition publié à Berlin et
deux fois les thèses de la gauche de Verkhnéouralsk, notamment sur le
capitalisme d’État…
    …Fédossenko, entouré de dossiers ouverts, passa deux heures
à démêler l’écheveau du complot. La pièce centrale en était une feuille de
cahier d’écolier, couverte de l’écriture maladroite de Rodion, sur les
juntes ouvrières dans la révolution espagnole, préconisées par L.T. – la
lettre de L.T. au Bureau politique, du 24 avril 1931, proposant le front unique
des communistes dans la

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