Sir Nigel
seul coup fût porté, Knolles surgissait au milieu d’eux,
le visage impassible et les yeux lançant des éclairs :
– Séparez-vous, c’est un ordre ! Je
vous promets assez de combats pour vous refroidir les sangs avant
que vous ne revoyiez l’Angleterre. Loring, Hawthorn, abattez le
premier qui lève la main… Alors, tu as quelque chose à dire, maraud
à la tête de renard ?
Il avança le visage jusqu’à deux pouces de
celui du rouquin qui, le premier, avait saisi une épée. L’homme
recula, effrayé par les yeux dominateurs de son commandant.
– Maintenant, cessez ce tapage, bande de
marauds, et tendez vos longues oreilles ! Trompette, sonnez
une fois encore.
Un appel de trompe avait été lancé tous les
quarts d’heure de façon à maintenir le contact avec les deux autres
bâtiments, invisibles dans le brouillard. La note haute et claire
sonna une fois encore, mais aucune réponse ne fut renvoyée par le
mur épais qui les entourait. L’appel fut répété à plusieurs
reprises et, chaque fois, le cœur battant, ils attendirent une
réponse.
– Où est le commandant de ce
bateau ? demanda Knolles. Quel est votre nom, mon
gaillard ? Alors, vous osez vous prétendre maître
marinier ?
– Mon nom est Nat Dennis, messire,
répondit le vieux marin à la barbe grisonnante. Trente années ont
passé déjà depuis que j’ai montré mon cartel pour la première fois
et que j’ai fait sonner de la trompe dans le port de Southampton
pour recruter un équipage. S’il est un homme qui se puisse dire
maître marinier, c’est bien moi !
– Et où sont les deux autres
bateaux ?
– Qui pourrait le dire avec ce
brouillard, messire ?
– Il était de votre devoir de garder le
contact.
– Je n’ai que les yeux que Dieu m’a
donnés, messire, et ils ne peuvent voir au travers d’un nuage.
– S’il eût fait beau, moi qui suis un
soldat, je les aurais gardés ensemble. Mais comme le temps était
mauvais, nous nous sommes fiés à vous qui êtes un marinier, et vous
n’y avez point réussi. Vous avez perdu deux de mes bateaux avant
même que l’aventure soit commencée.
– Mais, messire, je vous prie de
considérer…
– Assez de mots ! fit Knolles
sèchement. Ils ne me ramèneront point mes deux cents hommes. À
moins que je ne les retrouve avant d’arriver à Saint-Malo, je vous
jure par saint Wilfrid de Ripon que ceci sera un mauvais jour pour
vous. Assez ! Allez et faites votre possible.
Durant cinq heures, avec une brise légère dans
le dos, ils croisèrent dans l’épais brouillard, sous une pluie
froide qui trempait leur barbe et leur dégoulinait sur le visage.
Parfois, ils apercevaient un peu d’eau jusqu’à une archie ou portée
de flèche, de part et d’autre du bateau, mais aussitôt le nuage se
refermait sur eux. Depuis longtemps, ils avaient cessé de sonner de
la trompe pour retrouver leurs compagnons, mais ils gardaient
l’espoir de les revoir lorsque le temps s’éclaircirait. D’après les
estimations du marinier, ils devaient se trouver à mi-chemin entre
les deux côtes.
Nigel était accoudé au bastingage, les pensées
perdues dans les vallons de Cosford et sur les pentes couvertes de
bruyère, lorsque quelque chose lui frappa l’oreille. C’était un
bruit métallique, s’élevant au-dessus du murmure de la mer, du
grincement du bout-dehors et du claquement de la voile. Il écouta,
et de nouveau le même son lui parvint.
– Oyez, messire, dit-il à Sir Robert. N’y
a-t-il point un bruit dans le brouillard ?
Tous deux tendirent l’oreille. Le son résonna
clairement une fois de plus, mais dans une autre direction. La
première fois, c’était à la proue, et maintenant cela provenait du
gaillard arrière. Puis le son se répéta encore et encore. Il
s’était déplacé. Désormais, c’était à l’avant de l’autre côté puis
à l’arrière de nouveau ; il venait de plus près puis,
faiblement, de très loin. À ce moment, tous les hommes à bord,
matelots, archers et hommes d’armes étaient rassemblés sur le
pourtour du bateau. Tout autour d’eux, il y avait des bruits dans
l’obscurité et la muraille de brouillard leur collait toujours au
visage. Et les bruits qui sonnaient si étrangement à leurs oreilles
avaient toujours la même haute résonance musicale.
Le vieux capitaine secoua la tête et se
signa.
– En trente années passées en mer, je
n’ai rien entendu de semblable, dit-il. Le diable est
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