Sir Nigel
mélancolie qui accompagne souvent le
pressentiment de la mort. Tous portaient l’armure, hors le casque
posé devant eux sur la table.
Plus bas, groupé autour de la table rouge, se
tenait le conseil des plus célèbres guerriers de toute l’Europe. En
partant du roi, on pouvait voir assis, d’un côté, un vétéran, le
duc d’Athènes, fils d’un père exilé, devenu grand connétable de
France, puis le coléreux seigneur de Clermont, avec sa Vierge bleue
sur rayons d’or qui la veille avait été la cause de sa querelle
avec Chandos ; de l’autre, Arnold d’Andreghien, homme au noble
maintien et aux cheveux gris, qui partageait avec Clermont
l’honneur d’être maréchal de France ; Jean de Bourbon,
valeureux guerrier qui devait trouver la mort sous les coups de la
Compagnie blanche à Brignais ; quelques nobles allemands, dont
le comte de Salzbourg et le comte de Nassau, qui avaient franchi la
frontière avec leurs mercenaires à la demande du roi de France.
Leur armure à arêtes et les naseaux de leurs bassinets suffisaient
à tout soldat pour savoir qu’ils venaient d’au-delà du Rhin. Face
au roi se trouvaient d’autres seigneurs tout aussi nobles :
Fiennes, Châtillon, Nesle, Landas, Beaujeu, avec le vaillant
paladin de Chargny, celui-là même qui avait œuvré à la prise de
Calais, et Eustace de Ribeaumont qui, à cette même occasion, avait
obtenu le prix de vaillance des mains d’Édouard d’Angleterre. Tels
étaient les chefs vers qui le roi se tourna pour demander aide et
assistance.
– Vous avez ouï déjà, mes amis, dit-il,
que le prince de Galles n’a fait aucune réponse à la proposition
qui lui fut transmise par le seigneur cardinal de Périgord. Certes,
il en est ainsi qu’il en devait être et, bien que j’aie obéi aux
ordres de la sainte Église, je ne redoutais nullement qu’un prince
aussi vaillant qu’Édouard d’Angleterre nous refusât le combat. Il
m’est avis que nous devrions fondre sur eux immédiatement, à moins
que la croix du cardinal ne se vienne interposer encore entre nos
épées et nos ennemis.
Un bourdonnement de joyeux assentiment s’éleva
de l’assistance et même des hommes d’armes qui gardaient la porte
de la tente. Lorsque le calme fut revenu, le duc d’Orléans se
leva.
– Sire, dit-il, vous avez parlé ainsi que
nous l’espérions tous, et je crains bien que le cardinal de
Périgord n’ait été un piètre allié de la France, car pourquoi
proposerions-nous un partage alors qu’il nous suffit de tendre la
main pour prendre le tout ? Quel besoin avons nous de
paroles ? Enfourchons nos destriers et jetons-nous sur cette
poignée de maraudeurs qui ont osé dévaster vos belles possessions.
Et, si un seul d’entre eux quitte cet endroit autrement que
prisonnier, nous n’en serons que plus à blâmer.
– Par saint Denis, mon frère, fit le roi
en souriant, si les mots pouvaient tuer, vous les auriez déjà tous
étendus sur le dos devant même que nous quittions Chartres. Vous
êtes nouveau à la guerre, mais lorsque vous aurez participé à un ou
deux combats, vous apprendrez que tout doit se faire avec réflexion
et dans l’ordre, sous peine de tourner mal. Du temps de notre père,
nous sautions sur nos destriers et courions sus aux Anglais, ainsi
que nous le fîmes à Crécy et ailleurs, mais nous n’en avons retiré
que peu de profit, et nous sommes devenus plus sages. Votre avis,
messire de Ribeaumont ? Vous avez longé leurs lignes et
observé leur état. Leur courriez-vous sus, ainsi que le conseille
mon frère ? Ou sinon, comment envisageriez-vous la
chose ?
Ribeaumont, grand garçon élégant aux yeux
sombres, fit une pause avant de répondre.
– Sire, dit-il enfin, j’ai en effet
parcouru leur front et leurs flancs, en compagnie des seigneurs
Landas et Beaujeu, qui se trouvent en conseil ici, témoins de ce
que je vais dire. Il m’est avis que, bien que les Anglais soient
peu nombreux, ils occupent une position telle au milieu de ces
buissons et de ces vignes que vous feriez bien de les laisser car
ils sont sans nourriture et devront battre en retraite. Vous
pourrez ainsi les suivre et trouver une meilleure occasion de
livrer bataille.
Un murmure de désapprobation s’éleva dans
l’assistance et le seigneur de Clermont, maréchal de l’armée, se
leva d’un bond, le visage rouge de colère :
– Eustace, Eustace ! cria-t-il. Il
me souvient de jours où vous étiez d’un plus grand cœur
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