Sir Nigel
cérémonial légal et ecclésiastique
allait s’accomplir jusque dans ses moindres détails, risibles ou
impressionnants, avec tout le rituel prescrit. Au milieu du
lointain bourdonnement de la musique religieuse et du lent
tintement de la cloche de l’abbaye, les frères, en soutane blanche
et deux par deux, firent trois fois le tour de la salle en chantant
le
Veni, creator
avant de s’installer à leur place devant
les pupitres rangés de part et d’autre. Ensuite, tous les
dignitaires de l’abbaye gagnèrent leur place dans l’ordre
hiérarchique croissant : l’aumônier, le lecteur, le chapelain,
le sous-prieur et le prieur.
Enfin parut le sinistre procureur, à la
démarche triomphante, suivi de l’abbé John lui-même, lent et digne,
s’avançant d’un pas lent et solennel, le visage compassé, son
chapelet aux grains de fer se balançant autour de sa taille, un
bréviaire à la main, les lèvres marmottant des prières. Il
s’agenouilla devant son haut prie-Dieu. Les frères, sur un signal
du prieur, se prosternèrent sur le sol et les grosses voix graves
s’unirent en une prière répercutée en écho par les arches et les
voûtes, pareille au grondement des vagues que fait résonner une
caverne. Enfin, les moines reprirent leur place. À ce moment les
clercs, vêtus de noir, entrèrent avec leurs plumes et leurs
parchemins. Le porte-contrainte, en velours rouge, parut ensuite
pour faire sa déposition. Après quoi, Nigel fut amené entouré de
près par des archers. Enfin, après de nombreux appels en vieux
français, après beaucoup d’incantations rituelles et mystérieuses,
la séance fut ouverte.
Ce fut le procureur qui se dirigea le premier
vers le banc de chêne réservé aux témoins ; il exposa de façon
dure, sèche et mécanique les nombreuses revendications de la maison
de Waverley contre la famille de Loring. Il y avait plusieurs
générations de cela, en compensation d’une avance d’argent ou de
quelque faveur spirituelle, le Loring de l’époque avait reconnu à
ses terres des devoirs féodaux envers l’abbaye. Le procureur
brandissait le parchemin jauni, garni de sceaux de plomb, et sur
lequel se fondait sa réclamation. Parmi les servitudes acceptées se
trouvait l’
escuage
, ou taxe due par un vassal en place
d’un service personnel, et le montant de ce droit de chevalerie
était exigible chaque armée. Cette somme n’avait jamais été versée,
et aucun service n’avait jamais été rendu. Du fait de
l’accumulation des ans, les arriérés dépassaient de loin la valeur
des terres. Mais il y avait encore d’autres réclamations. Le
procureur se fit apporter les registres et, de son index fin et
nerveux, en lut la longue nomenclature : somme due pour ceci,
tallage ou impôt royal pour cela, tant de shillings pour telle
année, tant de nobles d’or pour telle autre. Beaucoup de ces faits
remontaient à une époque antérieure à la naissance de Nigel,
d’autres à son enfance. Les sommes avaient été contrôlées et
certifiées exactes par l’avocat.
Nigel écouta la litanie et se sentit comme un
cerf aux abois, qui a une pose altière et le cœur en feu, mais se
voit encerclé et sait fort bien qu’il n’a plus d’échappatoire. Avec
son jeune visage, ses calmes yeux bleus et le port dédaigneux de sa
tête, il était le digne descendant de la vieille maison : le
soleil, qui brûlait à travers la haute fenêtre en encorbellement et
tombait sur le tissu maculé et usé de son pourpoint, semblait
vouloir éclairer de ses rayons la fortune déchue de la famille.
Le procureur en avait fini de son exposé et
l’avocat allait refermer un dossier que Nigel ne pouvait en aucun
cas contester, lorsque l’aide lui vint soudain d’un côté où il n’en
attendait point. Qui sait s’il fallait mettre cette chance au
compte de la réaction à la méchanceté du procureur, si désireux de
pousser l’affaire, ou l’imputer au dégoût du diplomate, qui n’aime
pas qu’on noircisse le tableau, voire à la gentillesse naturelle de
l’abbé John, homme soupe au lait, tout aussi prompt à s’apaiser
qu’à s’enflammer ? En tout cas, une main blanche et
grassouillette s’éleva avec autorité, signifiant que l’affaire
était close.
– Notre frère procureur a fait son devoir
en précipitant ce cas, dit-il, car la richesse temporelle de cette
abbaye se trouve sous sa pieuse garde, et c’est vers lui que nous
nous tournerions si nous devions souffrir
Weitere Kostenlose Bücher