Sir Nigel
à
l’abbaye et je ne suis point parvenu trop tôt, car je vous assure
que le tableau n’avait rien de réjouissant avec ces flèches prêtes
à vous transpercer le corps, et les clochettes, livres de prières
et autres candélabres destinés à prendre soin de votre âme. Mais,
si je ne me trompe, voici la bonne dame.
C’était en effet la grande silhouette de Lady
Ermyntrude, maigre, voûtée, appuyée sur un bâton, qui était apparue
à la porte du manoir et s’avançait pour les accueillir. Elle éclata
de rire et brandit son bâton dans la direction de l’imposant
monastère lorsqu’on la mit au courant de la déconfiture de
l’abbaye. Elle les conduisit ensuite dans la grande salle où l’on
avait préparé tout ce qu’ils pouvaient offrir de mieux à leur
illustre visiteur. Elle avait elle-même dans les veines du sang de
Chandos, dont on pouvait retrouver la trace au travers des Grey,
Multon, Valence, Montague et autres grandes familles, à tel point
que le repas fut pris et presque digéré avant qu’elle en eût
terminé d’un imbroglio de mariages et alliances, avec les
partitions, rebattements, pièces honorables et modifications par
lesquels on pouvait dresser le blason des deux familles pour
prouver leur commune origine. Même si l’on remontait jusqu’à la
conquête et en deçà, il n’était pas un arbre généalogique de
noblesse dont chaque pousse, chaque bourgeon, ne fût lié à Lady
Ermyntrude.
Lorsque la table fut ôtée et que les trois
personnages se trouvèrent seuls, Chandos transmit son message à la
dame.
– Le roi Édouard n’a jamais oublié le
noble chevalier votre fils, Sir Eustace. Il doit se rendre à
Southampton la semaine prochaine et je suis son avant-courrier. Il
m’a prié de vous dire, noble Dame, qu’il viendrait par Guildford
afin de pouvoir passer une nuit sous votre toit.
La vieille dame rougit de plaisir mais pâlit
soudain, vexée par les termes mêmes.
– C’est en vérité un grand honneur pour
la maison de Loring, bien que notre toit soit humble et, comme vous
l’avez pu voir, notre pitance bien simple. Le roi ne se doute point
que nous sommes aussi pauvres. Je crains que nous ne passions pour
grossiers et avares à ses yeux.
Mais Chandos écarta ses craintes. La suite du
roi, dans laquelle ne se trouvaient pas de dames, logerait au
château de Farnham. Tout roi qu’il était, il se souciait peu de ses
aises, en vaillant soldat qu’il était resté. Et de toute façon,
puisqu’il avait annoncé sa venue, il leur fallait y faire face du
mieux qu’ils pouvaient. Enfin, avec beaucoup de délicatesse,
Chandos offrit sa propre bourse si elle pouvait les aider dans la
circonstance. Mais Lady Ermyntrude avait déjà retrouvé son
calme.
– Non, noble cousin, cela ne se peut
faire. Je vais préparer pour le roi tout ce qui sera possible, en
me souvenant que, si la maison de Loring ne peut rien donner de
plus, elle a toujours mis son sang à sa disposition.
Chandos devait encore se rendre à Farnham
Castle et au-delà, mais il exprima le désir de prendre un bain
chaud avant de se mettre en route car, comme la plupart des autres
chevaliers, il aimait à se plonger dans l’eau la plus chaude qu’il
pût supporter. Ainsi donc le bain, une grande cuve cerclée, plus
large mais plus courte qu’une baratte, fut installé dans la chambre
d’hôte et ce fut là que Nigel tint compagnie à Chandos qui se
détendait dans l’eau.
Nigel, perché sur le côté du haut lit,
balançant ses jambes dans le vide, regardait d’un air étonné et
amusé l’étrange visage, les cheveux blonds hirsutes et les épaules
musclées du fameux guerrier, le tout disparaissant légèrement dans
une épaisse colonne de vapeur. Il était d’humeur bavarde, aussi
Nigel l’assaillit-il de mille questions sur les guerres,
s’accrochant à chaque mot proféré en réponse, comme si l’autre eût
été l’oracle des Anciens parlant au travers de la fumée ou d’un
nuage. Pour Chandos lui-même, vieux guerrier aux yeux de qui la
guerre avait perdu toute sa fraîcheur, ce fut un rappel de son
ardente jeunesse que d’entendre les vives questions de Nigel et de
noter l’attention avec laquelle il l’écoutait.
– Parlez-moi du pays de Galles, noble
seigneur, demanda Nigel. Quelle sorte de soldats sont les
Gallois ?
– Ce sont de vaillants guerriers,
répondit Chandos en barbotant dans son bain. Vous avez des chances
d’avoir de bonnes escarmouches dans
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