Sir Nigel
demeure et jusqu’au dernier pouce
de terrain plutôt que de me permettre d’accepter cette offre
généreuse. Cependant je ne désespère point car, la semaine
dernière, j’ai fait l’acquisition d’un noble palefroi sans
débourser un penny. Peut-être aurai-je l’occasion de me procurer
toute une armure de la même façon.
– Et comment avez-vous eu ce
cheval ?
– Il m’a été donné par les moines de
Waverley.
– Merveilleux !… Mais,
pardieu ! après ce que j’ai vu, je me serais attendu qu’ils ne
vous donnassent que leur malédiction.
– Ils n’avaient que faire de cette bête
et me l’ont offerte.
– Il vous suffira donc de trouver
quelqu’un qui n’ait que faire d’une armure et qui vous la donne.
J’espère cependant que vous aurez de meilleures dispositions
d’esprit et que vous me permettrez de vous équiper pour la guerre,
puisque la bonne Dame a prouvé que j’étais votre cousin.
– Mille grâces, noble seigneur ! Si
je devais m’adresser à quelqu’un, ce serait à vous, mais il est
d’autres moyens que j’aimerais d’abord essayer… Mais je vous prie,
bon sir John, de me parler de vos nobles combats à la lance contre
les Français, car le pays tout entier retentit des légendes de vos
exploits, et j’ai entendu dire que, en une matinée, trois champions
avaient succombé devant votre lance. Est-ce vrai ?
– Ces cicatrices sur mon corps en font
foi, mais ce n’était là que folies de jeunesse.
– Comment pouvez-vous appeler cela des
folies ? Ne sont-ce point là les moyens de se gagner un
honorable avancement et le cœur d’une dame ?
– Ce que vous dites est vrai, Nigel. À
votre âge, un homme se doit d’avoir la tête chaude et de porter
haut le cœur. J’étais moi aussi doué des deux, et je combattais
pour ma dame, parce que j’en avais fait vœu, ou tout simplement
parce que tel était mon bon plaisir. Mais lorsqu’on grandit et
qu’on commande d’autres hommes, il y a aussi certaines choses
auxquelles il faut penser. On réfléchit moins à son honneur
personnel qu’à la sécurité de ses troupes. Ce ne sont plus votre
lance, votre épée ou votre bras qui feront changer le destin d’une
bataille, mais une tête froide et raisonnée qui peut vous sauver
d’une situation désespérée. Celui qui sait choisir le bon moment
pour faire charger ses cavaliers ou pour leur enjoindre de mettre
pied à terre avant de continuer le combat, celui qui sait mêler ses
archers et ses hommes d’armes de façon à se soutenir mutuellement,
celui qui sait tenir ses réserves à l’écart et ne les faire
intervenir que lorsqu’elles peuvent faire pencher le plateau de la
balance, celui dont l’œil vif sait découvrir les terrains
marécageux ou accidentés – celui-là vaut bien plus dans une armée
que tous les Roland, Olivier et autres preux chevaliers.
– Cependant, noble seigneur, si ses
chevaliers lui font défaut, tout son travail de tête ne servira de
rien.
– C’est très vrai, Nigel. Aussi, puissent
tous les squires partir en guerre avec un cœur aussi ardent que le
vôtre. Mais il ne me faut plus tarder, car le service du roi ne
peut attendre. Je vais me vêtir et, lorsque j’aurai pris congé de
la bonne Dame Ermyntrude, je m’en irai à Farnham. Mais vous me
reverrez ici le jour de l’arrivée du roi.
Ainsi donc, Chandos s’en fut ce soir-là,
poussant son cheval dans les paisibles allées et pinçant son luth,
car il aimait la musique et était connu pour ses chants joyeux. Les
habitants apparaissaient devant leurs demeures, riant et battant
des mains pour accompagner la voix riche qui s’élevait puis
retombait en douces modulations dans l’allègre pincement des
cordes. Et peu de ceux qui le voyaient passer auraient pu se douter
que cet étrange chevalier aux cheveux de lin était le plus rude
guerrier de toute l’Europe. Une fois seulement, alors qu’il entrait
dans Farnham, un vieil homme d’armes invalide et couvert de
haillons courut vers lui et s’accrocha à son cheval comme un chien
gambade autour des jambes de son maître. Chandos lui lança un mot
aimable et une pièce d’or au moment où il entrait au château.
Pendant ce temps, le jeune Nigel et Lady
Ermyntrude, laissés seuls en face de leurs difficultés, se
regardaient désespérés.
– Le cellier est quasi vide, fit Nigel.
Il reste deux tonnelets de bière et un fût de vin des Canaries.
Comment pourrions-nous servir pareils
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