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Sir Nigel

Sir Nigel

Titel: Sir Nigel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arthur Conan Doyle
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qu’une
lance mornée suffit pour une telle rencontre, mais qu’une ou deux
passes au glaive ou à la masse pourront être échangées si les deux
cavaliers restent en selle. Une sonnerie sur le cor de Raoul sera
le signal d’arrêt.
    Pareils exploits étaient un pas vers la
renommée que certains guettaient pendant des jours à un croisement
de route, devant un pont ou un château jusqu’à ce qu’un adversaire
de valeur passât par là. Ils étaient courants à la vieille époque
de la chevalerie errante et étaient encore familiers à l’esprit des
hommes, car les récits des troubadours et les ballades des
trouvères sont riches de pareils récits. Cependant ils devenaient
moins fréquents. Il n’en régnait qu’une plus grande curiosité,
mêlée de plaisir, parmi les courtisans qui avaient les yeux fixés
sur Chandos descendant vers le pont puis discutant avec l’étrange
homme armé. Sa stature était singulière, de même que la silhouette,
car les membres paraissaient courts par rapport à la taille ;
il avait la tête penchée en avant comme s’il eût été perdu dans de
profondes réflexions ou abattu par le désespoir.
    – C’est sans aucun doute le Chevalier au
Cœur Lourd, fit Manny. Quel est donc le chagrin qui lui fait ainsi
perdre la tête ?
    – Peut-être a-t-il le cou faible,
répondit le roi.
    – Du moins sa voix ne l’est point,
intervint le prince qui percevait les réponses de Nigel à Chandos.
Par la Vierge ! il gronde comme un butor.
    Tandis que Chandos s’en revenait auprès du
roi, Nigel échangea la lance de combat qui avait servi à son père
contre la lance mornée des tournois, qu’il prit des mains d’un
puissant archer qui le servait. Il s’avança alors vers le bout du
pont où une centaine de yards de terrain gazonné s’étendait devant
lui. Au même moment, l’écuyer de Sir Walter Manny, que l’on avait
armé en hâte, éperonna son cheval et s’en alla prendre
position.
    Le roi leva la main. La trompe du fauconnier
sonna et les deux cavaliers, avec un coup d’éperons et une saccade
de la bride, s’élancèrent l’un vers l’autre. Entre eux s’étendait
la bande verte de cette terre marécageuse, avec l’eau qui
jaillissait sous les sabots des chevaux lancés au galop, leurs
cavaliers couchés sur l’encolure, illuminés par le soleil du soir.
D’un côté se trouvait le demi-cercle de cavaliers immobiles,
certains revêtus d’armures, d’autres de velours, silencieux,
attentifs et entourés de chiens, de faucons et de chevaux ; de
l’autre côté le vieux pont, la rivière calme et le groupe des
manants à la bouche bée, le vieux manoir avec sa sinistre façade
cyclopéenne qui semblait suivre le combat de l’œil de son unique
fenêtre à l’étage.
    John Widdicombe était un bon combattant, mais
il avait trouvé plus fort que lui ce jour-là. Devant l’ouragan
jaune constitué par ce cheval et ce cavalier qui semblait rivé à sa
selle, ses genoux ne purent maintenir leur emprise. Nigel et
Pommers ne formaient qu’un projectile foudroyant, avec leur poids,
leur force et leur énergie concentrés sur le bout de la lance.
Eût-il été frappé par la foudre, que Widdicombe n’aurait pu voler
plus loin et plus vite qu’il le fit. Il rebondit par deux fois,
dans le cliquetis des plates, avant de retomber, inerte, sur le
dos.
    Pendant un moment, le roi contempla gravement
cette chute prodigieuse. Puis, souriant de voir Widdicombe se
remettre sur pied en chancelant, il applaudit vivement.
    – Que voilà une jolie course ! Les
roses rouges se comportent en temps de paix comme je les ai vues le
faire dans la guerre… Et maintenant, mon bon Walter, avez-vous un
autre écuyer ou bien nous ouvrirez-vous, vous-même, le
chemin ?
    Le visage coléreux de Manny s’était assombri
en constatant la mauvaise fortune de son représentant. Il se tourna
alors vers un chevalier dont le visage sauvage paraissait regarder
de dessous son bassinet comme un aigle de sa cage.
    – Sir Hubert, dit-il, il me souvient du
jour où vous avez pourfendu ce Français à Caen. Ne voulez-vous
point être notre champion ?
    – Lorsque je combattis le Français,
Walter, c’était à l’arme nue. Je suis un soldat et j’aime à
travailler en soldat. Mais je n’attache que peu d’intérêt à ces
jeux de lice qui n’ont été inventés que pour satisfaire les
caprices de femmes capricieuses.
    – Que voilà un discours peu galant !
s’exclama le roi.

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