Sir Nigel
vigoureux efforts pour concentrer son pauvre
esprit afin de profiter de la leçon, lorsque leur conversation fut
interrompue par l’arrivée d’un étrange personnage.
C’était un petit homme trapu, rouge et
essoufflé, qui courait sur les remparts comme s’il eût été balayé
par le vent. Ses cheveux ébouriffés et sa grande cape noire
flottant autour de lui, il était vêtu à la manière d’un respectable
citoyen : justaucorps noir bordé de sable, chapeau de velours
noir avec une plume blanche. En apercevant Chandos, il poussa un
cri de joie et hâta le pas, à tel point que, lorsqu’il les
rejoignit, il ne put plus que rester là à reprendre son souffle en
agitant les mains.
– Prenez votre temps, bon maître
Wintersole, prenez votre temps ! fit Chandos d’une voix
douce.
– Les papiers ! souffla le petit
homme. Oh, seigneur Chandos, les papiers !
– Eh bien quoi, les papiers,
messire ?
– Je vous jure, par mon bon patron saint
Léonard, que ce n’est point ma faute. Je les avais enfermés dans le
coffre. Mais la serrure en a été forcée et le coffre vidé.
Une ombre de colère passa sur le visage du
soldat.
– Et maintenant, messire le lord-maire,
reprenez vos esprits et ne restez point là à bredouiller comme un
enfant de trois ans. Vous dites donc que quelqu’un s’est emparé des
papiers ?
– C’est la vérité, bon seigneur. C’est la
troisième fois que je suis lord-maire de cette ville, et quinze ans
durant je fus bourgeois et jurat, mais jamais une affaire publique
qui m’était confiée n’a mal tourné. Le mois dernier encore, un
ordre nous est arrivé de Windsor, un mardi, commandant un banquet
pour le vendredi avec mille soles, quatre mille plies, deux mille
maquereaux, cinq mille crabes, mille homards, cinq mille
merlans…
– Je ne doute point, messire magistrat,
que vous ne soyez un excellent marchand de poissons ! Mais il
s’agit ici de papiers que je vous ai confiés. Où
sont-ils ?
– Enlevés, bon seigneur…
Partis !
– Et qui a osé les prendre ?
– Hélas ! je ne le sais point !
Je n’avais pas quitté mon bureau pour plus d’un angélus, comme vous
diriez, et lorsque je suis revenu, le coffre était là, forcé et
vide, sur ma table.
– Vous ne soupçonnez personne ?
– Il y a bien un varlet qui n’est entré à
mon service que depuis quelques jours. Il est introuvable et j’ai
lancé des cavaliers sur les routes d’Udimore et de Rye pour se
saisir de lui. Avec l’aide de saint Léonard, ils ne pourront le
manquer, car on peut le reconnaître à ses cheveux à une portée de
flèche.
– Ils sont rouges ? demanda Chandos.
Sont-ils rouges comme les poils du renard ? Quant à l’homme,
est-il petit avec le visage marqué de taches de grain ? Ses
mouvements ne sont-ils pas très vifs ?
– C’est cela même.
Chandos brandit un poing fermé, puis se
dirigea vivement vers la rue.
– Encore Pierre le Furet Rouge !
dit-il. Je le connais de longtemps : en France, il nous a fait
plus de tort qu’une compagnie entière d’hommes d’armes. Il parle
l’anglais aussi bien que le français, et il est si audacieux et
rusé qu’il n’y a point de secrets pour lui. Je ne sais point
d’homme plus dangereux dans toute la France car, bien qu’il soit un
gentilhomme par le sang et par son blason, il joue un rôle d’espion
qui comporte plus de danger et donc plus d’honneur.
– Mais, mon bon seigneur, s’écria le
lord-maire en courant pour rester à la hauteur du guerrier qui
marchait à grandes enjambées, je sais que vous m’avez demandé de
prendre soin de ces papiers, néanmoins ils ne contenaient rien de
bien important : ils disaient simplement que des
approvisionnements seraient envoyés derrière vous à Calais.
– Et cela n’est rien ? cria Chandos,
impatient. Ne voyez-vous point, ô ridicule messire Wintersole, que
les Français se doutent que nous sommes sur le point de nous livrer
à quelque entreprise, et qu’ils ont envoyé Pierre le Furet Rouge,
ainsi qu’ils l’ont fait maintes fois auparavant, pour apprendre ce
que nous tentions ? Maintenant qu’il sait que les
approvisionnements sont destinés à Calais, les Français autour de
la ville en seront prévenus et le plan du roi sera réduit à
néant.
– Dans ces conditions, il partira par
mer. Nous pouvons encore l’arrêter car il n’a pas une heure
d’avance.
– Il est possible qu’un bateau l’attende
à Rye ou
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