Sir Nigel
ciel sans nuages s’étendit sur une mer lisse.
Le soleil se couchait presque sur l’horizon derrière Dungeness
Point et tout le ciel occidental était embrasé par l’astre
couchant. Au milieu de cette immense beauté et dans la paix de la
nature, les deux petites taches, l’une avec une voile blanche,
l’autre avec une pourpre, montaient et descendaient doucement au
gré des flots que le grand océan chassait dans la Manche. Elles
étaient bien petites sur le sein brillant des eaux et cependant
elles symbolisaient toutes les passions humaines !
L’œil expérimenté du marin lui annonça qu’il
n’y aurait aucun vent à espérer avant la tombée de la nuit. Il
regarda le français qui se trouvait à moins d’un quart de mille à
l’avant et brandit le poing vers la rangée de têtes qu’on pouvait
voir, appuyées au bastingage de la poupe. Quelqu’un agita un
mouchoir blanc en signe de dérision et Cook Badding poussa un
affreux juron.
– Par saint Léonard de Winchelsea !
Je frotterai bientôt mon flanc contre le sien ! Mettez le
skiff à l’eau, mes amis, et deux d’entre vous au banc de
nage ! Fixe bien le filin au mât, Will. Va dans la barque,
Hugh, et je ferai le second. Si nous ployons suffisamment le dos,
nous pourrons les avoir avant que la nuit les couvre.
La légère embarcation fut rapidement descendue
sur le côté et l’autre bout du câble fixé au banc arrière, Cook
Badding et ses camarades se mirent à nager comme s’ils voulaient
rompre leurs avirons ; la petite goélette dansait légèrement
sur les vagues. Mais un moment plus tard, un skiff plus grand était
mis à l’eau sur le flanc du français et quatre nageurs vigoureux,
entreprenaient de le faire avancer.
Lorsque la
Marie-Rose
avançait d’un
yard, le français avançait de deux. Cook Badding se mit de nouveau
en colère et brandit le poing. Il remonta à bord, le visage
dégoulinant de sueur et assombri par la fureur.
– Malédiction ! Ils ont pris le
meilleur sur nous. Je ne puis plus rien faire ! Sir John a
perdu ses papiers car, maintenant que la nuit est proche, je ne
vois plus le moyen de les rattraper.
Nigel, penché sur le bastingage, observait
avec attention les faits et gestes des marins en invoquant
alternativement saint Paul, saint Georges et saint Thomas qu’il
suppliait de leur donner un peu du vent qui les conduirait jusqu’à
leur ennemi. Il était silencieux, mais dans sa poitrine son cœur
battait violemment. Son courage avait tenu tête à la mer et il
avait l’esprit trop occupé pour penser à ce qui avait étendu
Aylward sur le pont. Il n’avait jamais douté que Cook Badding
arriverait à son but d’une façon ou d’une autre mais, lorsqu’il
entendit ses dernières paroles découragées, il bondit et se planta,
rouge de courroux, devant le marin.
– Par saint Paul, maître ! nous
n’oserions plus jamais lever la tête, si nous ne tentions quelque
chose encore. Accomplissons un exploit cette nuit sur mer ou alors
ne revoyons jamais la terre, car nous ne pourrions trouver meilleur
moyen de gagner un honorable avancement.
– Avec votre permission, mon petit
maître, vous parlez comme un sot, fit le marin, revêche. Vous et
tous ceux de votre sorte êtes comme des enfants avec l’eau bleue
sous les pieds. Ne voyez-vous donc point qu’il n’y a pas de vent et
que le français peut touer aussi vite que je le fais ? Que
voulez-vous faire encore ?
Nigel désigna du doigt la petite embarcation
attachée à la proue.
– Descendons-y tous, dit-il, et attaquons
ce bateau, ou périssons honorablement dans l’entreprise.
Ces fières paroles trouvèrent leur écho dans
les cœurs rudes et courageux autour de lui. Les archers, autant que
les marins, poussèrent un long cri. Même Aylward se redressa avec
un triste sourire sur son visage couleur de cendrée.
Mais Cook Badding secoua la tête.
– Je n’ai jamais rencontré un homme qui
pût passer quelque part où je ne pouvais le suivre ! Mais, par
saint Léonard ! voilà qui est pure folie et je serais sot de
risquer mes hommes et mon bateau. Réfléchissez, mon petit maître,
que le skiff ne peut contenir que cinq hommes, et encore il est
chargé à avoir de l’eau jusqu’au plat-bord. Il y a quatorze hommes
qui vous attendent là-bas et il vous faut monter le long du
bastingage. Quelle chance auriez-vous ? Votre bateau perdu et
vous à l’eau… voilà ce qui vous attend. Je ne permettrai pas à mes
hommes
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