Souvenir d'un officier de la grande armée
et de son amour pour la famille royale. Voilà bien l’esprit de beaucoup des hommes que j’ai connus ! Quand l’idole est debout, ils l’encensent ; quand elle est à terre, ils lui donnent un coup de pied.
Ce même jour, le duc d’Orléans fut reconnu lieutenant-général du royaume, ayant accepté l’offre que lui avait faite la Chambre des députés de se mettre à la tête du gouvernement provisoire. Son arrivée à Paris et sa présentation au peuple, par le général La Fayette, sur la place de Grève, produisirent un bon effet sur tous les hommes amis de leur pays. On ne désespéra plus du salut de la patrie.
1 er août. – Dans la matinée, le lieutenant-colonel, à qui je venais de remettre le commandement du régiment, réunit tous les hommes dans la cour de la caserne de Lourcine, pour les haranguer. Il nous dit très sérieusement qu’il avait servi avec fidélité la République, le Consulat, l’empereur Napoléon, Louis XVIII et Charles X, et qu’il servirait de même le souverain que les Chambres appelleraient au trône. Les officiers sourirent et le reconnurent pour la plus vieille girouette du régiment. Au fait, ce n’était ni sa faute ni la nôtre, si les événements nous forçaient à servir tant de gouvernements divers, mais il aurait pu se dispenser de faire parade de nos honteuses palinodies, de la fréquence de nos serments si solennellement prêtés, et souvent si peu respectés. Ses frais d’éloquence touchèrent peu les soldats qui se croyaient dégagés depuis le 29 juillet de tout frein disciplinaire.
2 août. – Ce jour-là, les débris de nos 1 er et 3 ème bataillons nous revinrent. Le colonel nous les renvoyait, sans les accompagner.
Voici leur histoire. J’ai dit que les deux bataillons étaient arrivés à Vaucresson, le 29 juillet. Fort mal à ce bivouac, et inquiets sur les suites que pouvait avoir pour les officiers leur éloignement de Paris, les officiers commencèrent à murmurer. Dès le 30, les ambitieux et les mariés quittèrent furtivement. Leur défection et la désertion des soldats furent plus ostensibles le 31. En effet, ce jour-là, le colonel Perrégaux avait donné l’ordre de se rapprocher de Rambouillet, où s’était retirée la cour. Le colonel, qui avait amèrement censuré les ordonnances du 25 juillet, ne voulait pas entraîner son régiment à continuer une défense qui n’était ni dans ses principes, ni dans ses intérêts, mais il lui répugnait d’abandonner une cause malheureuse, sans avoir reçu l’avis officiel que ses services n’étaient plus nécessaires. C’est pourquoi il crut devoir se rapprocher de Rambouillet, où le roi était déjà abandonné par la majeure partie de sa garde et par ses courtisans. Ce mouvement en avant éclaircit singulièrement les rangs : le soir, il n’y restait plus guère que ces hommes fidèles et dévoués que tous les événements ont toujours trouvés à leur poste. En conséquence, le colonel invita les deux chefs de bataillon à conduire leurs hommes à Paris, en prenant les mesures convenables pour assurer leur retour d’une manière légale. Il fit rendre au drapeau les honneurs militaires, et partit pour Rambouillet, accompagné d’un officier et d’un détachement de sous-officiers et de caporaux qui s’offrirent spontanément pour escorter le drapeau. À son arrivée au château, il remit au roi le drapeau du 15 ème en lui disant : « Sire, vous me l’aviez confié, je vous le rends, puisque je ne puis plus le défendre. » Le roi le remercia beaucoup et le nomma commandeur de la Légion d’honneur, pensant encore pouvoir récompenser la fidélité au malheur, mais le pouvoir souverain était brisé dans ses mains depuis son départ de Saint-Cloud. Ce fut une lettre morte.
Les débris de nos 1 er et 3 ème bataillons nous arrivèrent donc à Paris, dans la matinée, le 2 août, sous le commandement de leurs chefs, tambours battants et baïonnettes au bout des fusils. C’était la première troupe armée de la ligne qu’on revoyait dans nos parages ; et ils se présentaient dans cette attitude militaire, en vertu d’une convention faite avec les commissaires envoyés pour recevoir leur adhésion. Les honnêtes gens virent avec plaisir que la force armée régulière et disciplinée allait reprendre le service de la capitale.
Grâce à l’arrivée de ces deux bataillons, le régiment se trouva de nouveau réuni. Mais ce n’était plus le même corps. Que
Weitere Kostenlose Bücher