Souvenir d'un officier de la grande armée
rigueur. Quelques un furent chassés de leur régiment.
20 mars. – À Gradefès, bourg près des frontières du royaume des Asturies, sur l’Elza. Le 4 ème bataillon fut logé plus loin, en remontant le cours de la rivière. Quelques grenadiers et une cantinière, étant restés derrière, s’arrêtèrent dans un village pour y passer la nuit. Le lendemain, on leur donna un guide qui les conduisit dans une embuscade préparée ; ils y furent tous égorgés, avec un raffinement de cruauté. Le chef de bataillon, instruit de cet affreux guet-apens, marcha sur ce village, le fit cerner, s’empara de tous les hommes valides, et leur annonça qu’il les ferait tous passer par les armes, s’ils ne faisaient pas connaître les assassins. Déjà quatre étaient tombés sous les balles des grenadiers, sans avoir rien avoué, enfin le cinquième les fit connaître. Ils étaient présents ; ils furent fusillés. Cette dure représaille donne une idée de ce qu’était la guerre d’Espagne.
Nous restâmes dans ce village, avec un escadron de dragons, jusqu’au 5 avril.
8 avril. – À Léon. Dans la matinée, j’avais reçu l’ordre de rejoindre mon bataillon. En route, étant à quelques cent pas du détachement et dans une position à ne pas être aperçu de lui par la forme du terrain, je fus accosté par un homme à cheval, armé jusqu’aux dents, en costume espagnol, dans le genre de celui de Figaro, avec un ample manteau par-dessus. À peine l’eus-je vu, qu’il était sur moi. Il ouvre rapidement son manteau, cherche dans ses poches comme pour prendre ses pistolets, et me présente une attestation pour indiquer qu’il était au service de la France, je ne sais à quel titre. Ma contenance fut assez embarrassée, croyant bien avoir à faire à une guérilla, avec d’autant plus de raison que je n’avais que mon épée pour me défendre, pauvre arme contre des pistolets, un tromblon et une lance. Cette surprise inattendue me fit penser qu’il n’était pas prudent de s’éloigner de sa troupe, dans un pays où chaque arbre, buisson ou rocher cachait un ennemi.
Le 4 ème bataillon était parti dans la matinée pour le blocus d’Astorga. Nous restâmes dans Léon jusqu’au 13 avril, avec le 5 ème bataillon de notre division.
14 avril. – Au pont d’Orbigo, bourg à deux lieues d’Astorga… Nous restâmes dans ce bourg, pour assurer les communications avec Léon et avec le derrière des troupes employées au siège d’Astorga, pour escorter les convois de vivres et de munitions de guerre, pour soigner les malades et les blessés des troupes du siège, et pour fournir des détachements armés aux tranchées.
Le duc d’Abrantès étant arrivé, le blocus d’Astorga fut converti en siège. L’artillerie nécessaire pour battre en brèche l’avait précédé. Les travaux de sape commencèrent immédiatement. Le 20 avril (vendredi saint), la batterie fut démasquée, et tira pendant trente-six heures, sans discontinuer, sur le mur d’enceinte. Mais pas assez armée ou peut-être trop éloigné, son effet fut médiocre ; malgré cela, l’assaut fut déclaré praticable.
Il eut lieu le 21, à cinq heures du soir. Six compagnies d’élite, dont deux de notre 4 ème bataillon, furent chargées de cette terrible mission. Il fut long, meurtrier et incomplet. À cinq heures du matin, les assiégeants étaient retranchés sur la brèche, sans que nous puissions pénétrer dans la ville par la difficulté des obstacles que notre troupe rencontrait sur son passage. Toutefois, le commandant, quand le jour fut venu, demanda à capituler.
On accéda à ses propositions, et il fut convenu que la garnison sortirait le jour de Pâques, à midi, avec les honneurs de la guerre, et qu’elle serait prisonnière de guerre.
La matinée de Pâques fut employée à perfectionner les travaux, pendant qu’on parlementait, et à donner la sépulture à toutes les victimes de cette triste nuit. À midi, la garnison sortit avec ses armes, qu’elle déposa hors des murs ; elle était encore forte. Dans le nombre, il se trouvait cinq à six déserteurs français, qui furent reconnus et fusillés sur le champ, sans même prendre leurs noms.
Les pertes des Français furent très considérables, beaucoup trop, eu égard à l’importance de la place. Mais le commandant du 8 ème corps d’armée voulait faire parler de lui ; il voulait conquérir, sur les murs de cette bicoque, un bâton de maréchal
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