Souvenir d'un officier de la grande armée
n’étaient pas capables d’arriver à leur intelligence égoïste. Ils m’insultèrent, me menacèrent du prince et du grand prévôt de l’armée, et de leurs poignets, si on ne leur rendait pas justice. Ils sortirent, et je me rendormis, mais une ou deux heures après, je fus mandé chez le grand prévôt. Un maréchal des logis de gendarmerie m’apportait cet ordre.
Arrivé près du colonel de gendarmerie Pavette, je lui expliquai ce qui s’était passé. « Comment, colonel, lui dis-je à la fin de ma narration, un officier de l’armée qui expose tous les jours sa vie pour la défense de la patrie, qui use sa santé sur les routes à la poursuite de l’ennemi, qui passe souvent les jours sans pain et les nuits sans sommeil, sera mandé à la requête d’un valet devant un prévôt, comme un criminel. Est-ce ainsi qu’on respecte l’épaulette, l’honneur de l’armée, les soldats dont le sang est demandé tous les jours ? » Après une conversation assez longue, où le colonel mit autant de politesse que de mesure, je sortis et fus reprendre ma place dans ce misérable lit qu’on m’avait disputé.
Le lendemain, en causant de cette affaire avec les aides de camp du prince, j’appris que sur le rapport du grand prévôt, l’audacieux valet et son digne acolyte, le piqueur, avaient été mis en prison. Peu auparavant, une pareille scène, pour le même motif, était arrivée à un capitaine d’un régiment de notre division, mais plus violent et armé dans ce moment là de son sabre, il avait fait une blessure grave à un domestique du duc d’Abrantès. Celui-ci, après avoir puni des arrêts forcés l’officier, voulait le faire destituer. Les officiers du corps, instruits de cette inconvenante rigueur, lui firent dire que si cela arrivait, ils donneraient tous leur démission motivée. Le duc eut peur, l’affaire en resta là.
Pendant le siège d’Almeida, je fus deux fois en détachement vers cette ville, depuis Rodrigo, pour escorter des convois. J’y étais, le soir où le feu de nos pièces commença et occasionna l’épouvantable explosion du magasin à poudre. On ne peut se faire une juste idée de l’intensité de la détonation, de l’ébranlement général de l’air, de l’énorme colonne de feu, de fumée, de pierres qui s’élevèrent dans les airs. Des pierres et des cadavres furent jetés jusque dans nos lignes. Cet événement eut lieu le 26 août, la ville fut occupée le 27.
Le 15 septembre Barrès passe la frontière du Portugal, où notre armée, forte de 50 000 hommes, était commandée par Masséna.
16 septembre. – Dans la matinée, ayant laissé Almeida à notre droite, nous passâmes le torrent de la Coa, dont l’abord est horrible, les pentes presque à pic, et la profondeur énorme.
Tous les jours qui suivirent, il me fut le plus souvent impossible de me faire dire le nom de la ville ou du village que nous traversions, car nous ne rencontrions pas un seul habitant. Toute la population avait fui, en détruisant tout ce qui aurait pu nous être utile. Les Anglais avaient composé cette émigration générale, sur notre passage, pour créer des plus grands obstacles à notre marche et nous rendre plus odieux aux Portugais.
25 septembre. – Dans cette journée, nous fûmes attaqués assez vivement par un parti ennemi ; mais, vivement repoussé, il se retira, après nous avoir tué et blessé plusieurs hommes.
Le lendemain, nous eûmes une alerte qui nous donna autant d’ouvrage que d’inquiétude. Le matériel que nous escortions était parqué sur une lande, calcinée par les grandes chaleurs que nous éprouvions, depuis notre entrée dans ce royaume désert. Le feu se mit à cette bruyère, et fit de si grands progrès, malgré tous les moyens employés pour l’arrêter, qu’on fut obligé de faire venir les chevaux et d’atteler à la hâte pour les parquer sur un autre terrain. Le danger était grave ; la perte eut été immense pour l’armée, car toutes ses ressources pour la continuation de la guerre étaient dans ce parc de réserve.
27 septembre. – Au bivouac, assez près du lieu où se donna, le même jour, la bataille de Bussaco et d’Alcoba, où nous fûmes sinon battus, du moins repoussés de tous les points dont on cherchait à s’emparer. Cette funeste journée, qui coûta à l’armée plus de 4 000 hommes tués ou blessés, la découragea beaucoup. Cependant le maréchal Masséna ne renonça pas au projet de marcher
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