Souvenirs d'un homme de lettres
au reproche d'avoir écrit un pamphlet de
parti pris, il n'est pas plus vrai. Le livre et la pièce restent
au-dessous de la vérité. J'ai laissé à la royauté une part assez
belle ; si cette part n'est pas meilleure, à qui la
faute ? La monarchie a posé devant moi ; comme toujours
j'ai écrit d'après nature. D'ailleurs je n'ai pas été le premier à
constater l'affaissement des âmes royales en exil. Dans les
admirables « mémoires d'outre-tombe », que j'avais eus
tout le temps sur ma table, en travaillant, Chateaubriand raconte
avec autrement de cruauté que moi la niaiserie, l'aveuglement de la
cour de Charles X en Angleterre.
« De son sopha , Madame
voyait à travers la fenêtre ce qui se passait au dehors, elle
nommait les promeneurs et les promeneuses. Arrivèrent deux petits
chevaux avec deux jockeys vêtus à l'écossaise. Madame cessa de
travailler, regarda beaucoup et dit : « C'est madame…
(J’ai oublié le nom) qui va dans la montagne avec ses
enfants. » Marie-Thérèse, curieuse, sachant les habitudes du
voisinage, la princesse des trônes et des échafauds descendue de la
hauteur de sa vie « au niveau des autres femmes, m'intéressait
singulièrement. Je l'observais avec une sorte d'attendrissement
philosophique. »
Et, quelques pages plus loin :
« J'allai faire ma cour au Dauphin, notre
conversation fut brève :
– Comment Monseigneur se trouve-t-il à
Butscherad ?
– Vieillotant.
– C'est comme tout le monde, Monseigneur.
– Et votre femme ?
– Monseigneur, elle a mal aux dents.
– Fluxion ?
– Non. Monseigneur, temps.
– Vous dînez chez le roi, Nous nous
reverrons.
Et nous nous quittâmes. »
Et quel réquisitoire que le livre de
M. Fourneron,
Histoire des émigrés pendant la Révolution
française
! La tenue du comte d'Artois et du comte de
Provence en exil, pendant que leur frère est prisonnier au Temple,
envoyé à l'échafaud, la rivalité des maîtresses, madame de
Polastron et madame de Balbi !
Ma descente de Gravosa a paru incroyable,
monstrueuse, inventée à plaisir. Mais lisez l'histoire de Quiberon,
l'aventure de ces malheureux soldats vendéens à qui on a promis un
prince du sang pour marcher à leur tête, attendant, espérant le
comte d'Artois qui reste au large, en mer, sans oser descendre, et
qui écrit à d'Harcourt : « On ne voit que des troupes
républicaines sur les côtes. » Ceux qui les lui faisaient
voir, le baron de Roll et ses amis, imaginaient chaque jour des
prétextes pour éluder le débarquement. L'héroïque Rivière, les
comtes d'Autichamp, de Vauban et de la Béraudière insistaient
vainement : « Je ne veux pas aller chouanner »,
répond le prince. Puis encore l'histoire de Frotté et son ambassade
tombant au milieu des parties de
whist
d'Holyrood. Il
vient soumettre son plan de débarquement. On le reçoit en présence
de Couzié, de l'Évêque d'Arras, du baron de Roll, des comtes de
Vaudreuil et de Puységur et du financier de Theil.
« Permettez, dit Roll avec son accent
allemand, je suis capitaine des gardes et par conséquent
responsable vis-à-vis du roi de la sûreté de Monsieur. Y a-t-il
sécurité suffisante pour hasarder Monsieur ? – Non,
assurément ! – Ainsi, interrompit le prince, vous-même,
Monsieur de Frotté, vous reconnaissez que le projet est
impraticable ? »
Frotté sort, il retourne près des
gentilshommes de Normandie, seul, avec une de ces lettres à phrases
pompeuses, que prodiguait le comte d'Artois. « Je charge le
comte Louis de Frotté de vous exprimer tous les sentiments dont mon
cœur est pénétré. La Providence, n'en doutez pas, secondera votre
généreuse constance… En attendant ce moment si désiré où je pourrai
m'exprimer avec vous de vive voix, recevez, Messieurs… »
Ce livre est écrit par un royaliste qui n'a
pas assez de haine contre la Convention. Est-il dans
les Rois
en exil
une page aussi dure que celle-là ?
Une lecture chez Edmond de Goncourt
Note : Écrit en 1877 pour le
Nouveau
Temps
de Saint-Pétersbourg.
Edmond de Goncourt réunit ce matin, à Auteuil,
quelques intimes pour leur lire, avant déjeuner, son roman nouveau.
Dans le cabinet de travail sentant bon le vieux livre et comme
éclairé de haut en bas par l'or bruni des reliures, j'aperçois en
ouvrant la porte la robuste encolure d'Émile Zola, Ivan
Tourgueneff, colossal comme un dieu du Nord, et la fine moustache
noire sous des cheveux en coup de vent du bon
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