Spartacus
digressions directement sorties de son imagination. Celles-ci jouent ensuite un rôle important dans la vulgate de Spartacus au XX e siècle. En effet, Arthur Koestler utilise largement Marcel Ollivier pour proposer une version ouvertement romancée de la vie de Spartacus. Cette œuvre, qui aura un succès beaucoup plus important que l’ouvrage d’Ollivier, sera traduite en de nombreuses langues et inspirera de nombreux auteurs attirés par cette veine historico-politique.
En 1951, en pleine guerre froide, Howard Fast, membre du parti communiste américain, va plus loin que Marcel Ollivier et Arthur Koestler en proposant une troisième version encore plus bolchevique ; cet opus est si conforme à l’orthodoxie prolétarienne qu’il reçoit le prix Staline de la Paix en 1953. Consécration suprême, c’est à partir de cet ouvrage, dans lequel Spartacus annonce presque la venue du Christ, que Stanley Kubrick fonde l’essentiel de ses références pour bâtir son propre Spartacus ; en 1960, le film est un énorme succès grâce, notamment, à l’interprétation magistrale de Kirk Douglas. Cinquante ans après sa sortie, ce péplum demeure l’image de référence de Spartacus pour le grand public. Sans contraindre les sources a contrario , il est possible de dire que la réalité est un peu différente de celle proposée par plusieurs strates de romans historiques qui s’inspirent et amplifient allègrement la vision de Marcel Ollivier. Tout d’abord, rien ne dit que Spartacus se soit installé précisément à Thurium. Il faut plutôt supposer que les campements des dizaines de milliers d’hommes que les sources recensent au printemps sont étirés entre Consentia et Thurium. Ces deux petites villes, qui selon Appien ont été prises et dont d’après Florus les populations ont été massacrées, doivent être occupées par les plus anciennes troupes de Spartacus. Les autres, qui arrivent chaque jour, doivent s’installer comme elles le peuvent, dans des tentes ou des huttes de fortune, le long des deux fleuves qui coulent depuis Consentia jusqu’à la mer. Les auteurs antiques disent également clairement qu’en cette année 72 les esclaves n’ont pas procédé à l’union sacrée des exploités contre les exploiteurs. Cette première solidarité de classe annoncée par la plupart des biographes, influencés par Karl Marx qui faisait de Spartacus « son héros préféré », n’a pas eu lieu au pied des montagnes de la Sila. Comment aurait-il pu en être autrement ? Même en étant des esclaves révoltés, un Ibère, un Gaulois, un Thrace, un Grec ou un Syrien n’ont que peu de points communs.
Les esclaves et les dieux
Leurs dieux sont tous différents et c’est sans doute là un moindre problème. Le polythéisme présente cet avantage de croire en la multiplicité du divin. Les divinités de ces panthéons n’exigent aucune exclusivité, au contraire du Dieu unique et jaloux des monothéistes. En forçant un peu le trait, il n’est pas exclu de penser que, sinon la religion, du moins certains rites qui l’accompagnent ont pu constituer une sorte de lien entre ces groupes ethniques. Avant Spartacus, deux grandes révoltes serviles ont déjà été menées en Sicile par des chefs dont la légitimité se fondait sur des dons de divination. Sans doute par manque de témoignages directs, les auteurs ne nous disent plus rien de la compagne de Spartacus qui, rappelons-le, est une prophétesse dionysiaque. Plutarque, le seul à en parler, laisse entendre qu’elle est toujours présente auprès de Spartacus, mais sans en dire davantage. Nul doute qu’elle doit alors poursuivre ses activités prophétiques dans le camp de Thurium. C’est d’ailleurs par ce biais que Plutarque a pu avoir vent de l’anecdote du serpent enroulé autour du visage du Thrace. Pour cette foule d’hommes qui a pris le risque insensé de braver ses maîtres, les mages et les prophétesses de toute obédience constituent un recours et un réconfort importants. Cette histoire de prophétie, probablement diffusée auprès des esclaves durant l’hiver 72, a sans doute joué un rôle majeur pour légitimer l’autorité de Spartacus ; une hypothèse conforme à la mentalité du temps. Il est plus probable que ces multiples groupes, répartis par origines ethniques, cherchent l’espoir auprès de devins plutôt qu’en se tournant vers une société où les hommes devenus frères rejettent l’exploitation de
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