Spartacus
de maisons, doit ressembler à un vaste camp militaire. Même si les auteurs ne le spécifient pas explicitement, les futurs succès de Spartacus contre des légions consulaires attestent du soin qu’il a apporté à la formation et à la discipline de ses hommes pendant ces quelques semaines. Un autre point qui n’a pas été soulevé sur cette période mérite d’être souligné. S’il est acquis qu’il se fait partout précéder par les faisceaux de licteurs pris aux magistrats de Rome, à aucun moment Spartacus ne se proclame roi. Lors des deux précédentes révoltes d’esclaves en Sicile, le mage syrien Eunus puis le pâtre cilicien Anthénion s’étaient tous les deux donné le titre de roi ( basileus ). Si Spartacus les avait imités, nul doute que Salluste, auteur de la fin de la République ayant la royauté en horreur, n’aurait pas hésité à stigmatiser ce trait. La légende spartakienne en aurait été modifiée. Comment Marx et les révolutionnaires spartakistes du XX e siècle auraient-ils pu faire d’un roi autoproclamé leur héros et leur lointain prophète ? Rien ne dit que Spartacus n’ait pas eu la tentation de devenir roi. Lui-même vient d’un pays où les tribus ont à leur tête des princes. Cependant, une grande différence existe entre les deux révoltes serviles de Sicile et la guerre de Spartacus. D’après les auteurs antiques, unanimes sur ce point, les deux premières s’appuient sur une base ethnique assez homogène. Les deux rois des esclaves règnent sur des Syriens et des Ciliciens ramenés depuis l’Orient par plusieurs campagnes militaires. Pour ces peuples marqués par le modèle culturel des royaumes hellénistiques, l’accession de leur chef à la royauté n’a rien de choquant. Pour Spartacus, les choses sont plus compliquées. Même si ses réels talents tactiques et son sens de l’organisation lui donnent une prééminence sur les autres chefs, ces derniers ne l’ont pas pour autant proclamé roi. Dans ce cas, ils auraient sans doute dû renoncer à l’influence qu’ils conservent jalousement sur leurs propres groupes. Ainsi, cette forme quasi républicaine donnée à la révolte constitue davantage la marque des divisions qui existent au sein des esclaves que l’expression d’une volonté politique particulière. Et, tandis que les premières dissensions commencent à agiter les deux principaux groupes d’esclaves, Rome prépare sa riposte dans la fièvre et l’affolement.
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Romains
au bord de la crise de nerfs…
Vaincu et humilié, le préteur Varinius doit revenir à Rome pour faire son rapport au Sénat. Il ne reste de son armée qu’une poignée d’hommes et la plupart reviennent sans leurs armes. Le préteur lui-même revient sans ses licteurs et sans ses étendards. Plus que des pertes humaines de cette campagne calamiteuse, le Sénat de Rome s’indigne que des emblèmes sacrés puissent à présent être souillés entre les mains d’un esclave. Mais, une fois passée leur sainte colère, les sénateurs peuvent faire le point sur la situation, car les Romains sont aussi très pragmatiques. Ce que dit Varinius est inquiétant. Même si certains pensent au sein de la curie qu’il exagère pour limiter ses responsabilités, les témoignages concordent. L’armée de Spartacus a bel et bien emporté la bataille par sa discipline. Les esclaves fugitifs du Thrace ont tenu leur ligne plus fermement que les soldats de Rome. L’adversaire que le Sénat doit combattre n’est pas un simple brigand mais un redoutable chef de guerre, intelligent et rusé. Cette histoire tombe décidément très mal. Au moment où Varinius fait son rapport, la guerre continue en Espagne et en Orient. Qui sait si les messagers apporteront quelques bonnes nouvelles de ce côté-là ? Ce serait à souhaiter, car la situation à Rome est explosive. A l’intérieur de l’enceinte de l’ Urbs une plèbe oisive subsiste essentiellement du blé que lui procure à bas prix la République. Lorsque les tributs levés sur les peuples vaincus assurent la paix sociale, tout se passe pour le mieux. Avec le pain, le peuple jouit aussi des jeux généreusement organisés par des magistrats ambitieux. Assis sur les gradins du cirque, le citoyen romain le plus misérable peut avoir le sentiment d’être le maître du monde en devisant doctement sur les mérites respectifs du gladiateur samnite et du gladiateur gaulois. Mais, si la machine se dérègle, tout devient
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