Spartacus
déportation de masse rentrant chez elles pour retrouver leurs amis et leurs parents. Il n’en est rien, et d’autres références symboliques viennent encore brouiller la réalité historique pour mieux forger le mythe.
Comme Arthur Koestler en 1946 et Howard Fast en 1951, de nombreux auteurs ont introduit une dimension biblique, voire christique, dans leurs Spartacus respectifs. Le premier à exploiter cette veine est Lewis Grassic Gibbon en 1933 88 . Gibbon est un romancier écossais prolifique dans les années 1930. Dès la première ligne, Gibbon fait le lien avec le Christ par une phrase curieuse qui, tels l’alpha et l’oméga, ouvre et conclut l’ouvrage : « C’était le printemps en Italie, une centaine d’années avant la crucifixion du Christ. » Drôle d’introduction… on imagine mal un récit sur la bataille de Waterloo qui commencerait par « C’était le printemps en Belgique, une centaine d’années avant la guerre de 14 »… Gibbon axe très vite son approche sur le plan religieux en introduisant dès le premier chapitre un esclave juif du nom de Gershom ben Sanballat. L’essentiel du roman tourne ensuite autour des réflexions entre Gershom et Kleon, un esclave platonicien venu d’Alexandrie. Il semble que, si Ollivier et Koestler sont à l’origine de la version « collectiviste » et « prolétarienne » de Spartacus, Gibbon et Fast ont certainement joué un grand rôle dans son identification à un nouveau Moïse ou à un « proto-Christ ». La réalité historique est tout autre car, si les Juifs sont totalement absents de nos sources, ils le sont aussi probablement dans les faits. La Judée sera bien conquise par les Romains, mais il faudra encore attendre dix ans pour que Pompée prenne Jérusalem et que Rome étende l’ombre de ses aigles sur le mont des Oliviers. Ce décalage rend donc totalement anachronique la présence d’un Juif essénien dans les Spartacus de Gibbon et de Koestler. Influencé par son séjour dans les kibboutz de Palestine dans les années 1920, Koestler introduit même dans la troupe de Spartacus un personnage qui annonce la venue du « Fils de l’Homme » et l’émergence d’une nouvelle religion. Pour Fast, comme pour Gibbon, l’un des gladiateurs qui accompagnent Spartacus est un Juif nommé David, qui aura le « privilège » d’être le dernier esclave crucifié. Le Spartacus de Kubrick est très imprégné de cette image, notamment dans les dernières minutes du film. Kirk Douglas, lui-même fils d’immigrés juifs originaires de Russie, intègre ainsi le David de Fast à son propre personnage. Il propose alors un Spartacus qu’il perçoit comme un second Moïse. Comme Moïse sortant d’Egypte le peuple élu, Spartacus tente lui aussi de mener son peuple d’opprimés vers une hypothétique Terre promise. Comme le souligne très justement Michel Eloy, « on peut imaginer le parallèle avec Spartacus devant le Pô ou face aux détroits de Sicile. Dans les deux cas il n’est pas parvenu à réaliser le miracle de séparer les eaux de la mer Rouge 89 ». Quand bien même le miracle aurait eu lieu, quelle Terre promise pouvait s’offrir aux révoltés ? Aucun peuple n’aurait accepté ces « boat people » armés jusqu’aux dents et transportés par des pirates. Sans doute l’accueil fait aux esclaves aurait-il été plus mauvais encore que celui réservé par les Britanniques aux rescapés de l’Holocauste serrés sur le pont de l’ Exodus . Ces esclaves, condamnés à errer de port en port, auraient été partout refoulés.
La Sicile, une terre d’esclaves et de révoltes
De fait, les sources montrent bien que Spartacus lui-même ne s’inscrit pas dans cette vision biblico-romantique. Son objectif est encore une fois stratégique. Il ne s’agit pas de ramener ses hommes dans leurs foyers mais de propager la guerre des esclaves là où elle a le plus de chances de réussir. La Sicile apparaît de ce point de vue comme l’endroit idéal. A la pointe de la péninsule italienne, elle semble si proche qu’un bon nageur pourrait la rejoindre facilement. Salluste en témoigne : « dans sa moindre largeur [le détroit] sépare l’Italie de la Sicile de 3 000 pas ». La province de Sicile est alors une contrée fertile et les citoyens romains y possèdent de vastes domaines où vivent les milliers d’esclaves indispensables à la culture de leurs terres. En 139 av. J.-C., la première guerre servile a
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