Spartacus
politique. Cette prise de contact est si improbable qu’on pourrait même douter de sa réalité ; pourtant, une allusion faite par Tacite laisse supposer qu’elle a bien eu lieu.
Sous le règne de Tibère, un rebelle nommé Tacfarinas semait le trouble en Afrique du Nord. Sûr de sa force, il osa envoyer une ambassade à Rome, auprès de l’empereur, pour négocier la paix. Tibère considéra cette offre comme une véritable insulte. La comparaison que fait alors Tacite entre Tacfarinas, « un déserteur et un brigand », et Spartacus est intéressante : « Il n’avait pas été donné à Spartacus lui-même, lorsque, après la défaite de tant d’armées consulaires, il saccageait impunément l’Italie, lorsque les grandes guerres de Sertorius et de Mithridate ébranlaient la République, d’obtenir un traité qui lui garantît le pardon 93 . » Tacite suggère donc bien une tentative de négociation, que l’on pourrait dater du début de l’année 71, « après la défaite de tant d’armées consulaires ». Il ne faut certainement pas voir dans cette proposition de négociation plus qu’une tentative désespérée aussitôt rejetée avec dédain. Malgré cette évidence, l’allusion d’Appien et de Tacite a beaucoup inspiré les auteurs de fictions. Dès 1760, Bernard Joseph Saurin la reprend dans une scène où Crassus va jusqu’à offrir la main de sa fille à Spartacus… qui la refuse. Certains romanciers comme Arthur Koestler imaginent également un improbable dialogue entre Crassus et Spartacus au sujet de l’esclavage, de la valeur du travail et de l’invention nécessaire d’une nouvelle religion destinée à remplacer les dieux fainéants de l’Olympe. De même, Stanley Kubrick met en scène une entrevue entre le préteur et le chef des esclaves. En dépit de son caractère hautement improbable, ces digressions politico-philosophiques ont largement participé à forger le mythe de Spartacus.
Spartacus s’échappe
A présent il faut agir. Crassus doit donc écraser Spartacus avant que le Sénat n’ordonne à Pompée d’entrer en Italie avec son armée pour achever ce que le préteur tarde à terminer. Spartacus doit lui aussi forcer le mur qui l’emprisonne pour récupérer sa liberté de manœuvre et trouver de quoi nourrir ses 100 000 hommes. D’après Appien, il « décida de courir sa chance et, aidé du renfort de cavalerie qu’il attendait, força, avec toute son armée, les retranchements de Crassus ». Sans doute les escadrons de l’armée de Spartacus restés au nord du mur romain se sont-ils rapprochés des légions romaines ; par des moyens que nous ignorons, le chef rebelle aura donné l’ordre à ces hommes de procéder à une diversion sur leurs arrières. En outre, Crassus a certainement réalisé de meilleures défenses près du littoral qu’au sommet du massif, jugé inaccessible pour une armée. Ce relief montagneux est aussi couvert de forêts ; malgré les coupes réalisées par les soldats, la couverture végétale est encore assez épaisse pour s’approcher des murailles sans être repéré. Retrouvant son coup d’œil et l’esprit de décision dont il a fait preuve sur les pentes du Vésuve, Spartacus perçoit certainement les faiblesses de la ligne de défense dans les parties les plus escarpées. Une fois l’endroit déterminé, il attend le moment le plus favorable pour agir. L’hiver est là. En janvier et en février, le climat est encore doux sur le littoral mais la neige tombe en abondance sur les plus hauts reliefs. D’après Plutarque, « il profita d’une nuit de neige et de tempête pour combler une petite partie de la tranchée avec de la terre, du bois et des branches d’arbres et fit passer de la sorte le tiers de son armée ». Salluste rend lui aussi compte de cette percée en insistant sur l’énergie du désespoir qui anime les rebelles : « car, si les efforts de l’ennemi y mettaient obstacle, encore valait-il mieux périr par le fer que par la faim ». Enfin Frontin, dans ses Stratagèmes , livre une précision intéressante sur cet exploit : « Spartacus, que Marcus Crassus avait enfermé par un fossé, utilisa les corps de prisonniers et de bestiaux qui avaient été massacrés pour combler ce fossé durant la nuit… » Ainsi, pour la quatrième fois dans son périple, Spartacus fait tuer des prisonniers romains. Après les combats de gladiateurs destinés à terroriser l’adversaire, les captifs
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