Staline
incompétents : « Nadejny
[le commandant du front] n’est pas capable de commander… il ruine le front
occidental. » Au-delà des individus eux-mêmes, il vise la politique mise
en œuvre et demande « que le Comité central trouve en lui-même le courage
de tirer les conclusions indispensables. Le Comité central aura-t-il assez de caractère,
de fermeté [319] »,
pour mettre fin à l’emploi de « spécialistes militaires », et, par
voie de conséquence, à la fonction de Trotsky devant qui ses membres, dont
Lénine, sont implicitement accusés de capituler ? Lénine l’envoie
promener.
Staline exprime à Petrograd la même sévérité qu’à
Tsaritsyne. Il signe avec Zinoviev un ordre affirmant : « Tous les
transfuges et les paniquards seront fusillés sur place [320] . » Dure loi
de la guerre ? Sans doute, mais il en rajoute : l’un des régiments
rouges, au cours de la bataille, a massacré les communistes avant de passer aux
Blancs qui l’ont aussitôt renvoyé au combat où il s’est fait écraser. Staline
se vante par télégramme d’avoir organisé « une exécution solennelle des
survivants faits prisonniers [321] ».
Un autre ordre, qu’il signe avec Zinoviev, ordonne de fusiller sur place « les
traîtres qui ont rejoint les Blancs », d’arrêter leurs familles et de
confisquer leurs terres et leurs biens. Puis, s’adressant aux soldats de l’Armée
rouge, les deux hommes proclament : « Il faut tuer les Blancs jusqu’au
dernier [322] . »
Des mutins livrent aux Blancs les forts de Krasnaia Gorka
dans la baie de Petrograd. Selon les officiers de l’Armée rouge, le fort doit
être repris par l’infanterie, autrement dit, par la terre. Staline, lui, exige
que ce soit par la mer ! Il enraie la panique avant que l’infanterie,
finalement, reprenne le fort. Le 16 juin, pourtant, il raille, dans un mot
à Lénine, « les spécialistes des choses maritimes » et leur « prétendue
science » qui rejetait la prise par la mer du fort, rendue possible,
dit-il, « par la plus grossière immixtion de ma part et en général des
civils dans les opérations ». Il a annulé, se vante-t-il, les ordres des
officiers, imposé les siens, et déclare qu’il agira ainsi par la suite « malgré
toute sa vénération pour la science [323] ».
Le rejet bravache des spécialistes et de leurs compétences tend à masquer ici
un coup de bluff assez grossier. En marge de ce télégramme, Lénine note, en
effet : « Krasnaia Gorka a été pris par la terre [324] ».
Le 17 juin, Staline fait fusiller 67 « comploteurs » :
des officiers suspectés d’avoir livré le fort aux Blancs et ceux qui avaient
conseillé et exécuté la reprise par terre. Pour justifier ces exécutions
massives, il affirme, dans une note à Lénine du 18 juin, avoir découvert
un complot des commandants des batteries de tous les forts de l’ensemble du
district fortifié de Cronstadt. Si tel avait été le cas, Petrograd, dont ces
batteries commandent l’accès, n’aurait pas tenu longtemps. Staline a inventé ce
complot (ou l’a grossi) pour encourager la méfiance à l’égard des « spécialistes »
et justifier l’exécution des insolents. Il ne fait déjà pas bon avoir raison
contre lui…
Il ne peut, en revanche, fusiller les communistes qui
récusent ses ingérences et son insubordination. L’ancien commissaire du front
Sud, que Staline déteste, Okoulov, membre désormais du Conseil militaire
révolutionnaire du front Ouest, dénonce, dans un rapport au Comité central sur
la débandade initiale du front, la perpétuation des mœurs de Tsaritsyne, l’esprit
d’insubordination et d’autonomie des cadres de la VII e armée
soumis à la direction du Parti de la ville et qui obéissent au commandement
quand bon leur semble. Lénine communique à Staline le télégramme d’Okoulov, et
l’invite à combattre « la tendance de Piter [Petrograd] à l’esprit d’autonomie [325] ». Staline
l’envoie promener : « L’esprit d’autonomie de Piter est un ragot
indigne » et conclut par un ultimatum : « Ou bien il y a
confiance et soutien et alors Okoulov doit s’en aller car il gêne les
militants, ou bien je n’ai rien à faire ici. Si je ne reçois pas de réponse
aujourd’hui, il me faudra abandonner ma responsabilité et repartir pour Moscou.
Je juge absurde de continuer à travailler dans ces conditions… [326] » Lénine
cède et rappelle Okoulov.
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