Staline
noms figurent sur toutes
les listes : Lénine, Zinoviev, Trotsky, Boukharine, Kamenev et Staline.
Sur proposition de Lénine, le congrès crée trois organes du
Comité central : un Bureau politique de cinq membres (Lénine, Trotsky,
Staline, Kamenev et Krestinski), un Bureau d’organisation, dirigé par
Krestinski, où Staline entrera l’année suivante, chargé de régler les
mouvements de cadres du Parti, et un secrétariat, aux fonctions administratives
modestes dirigé d’abord par une unique militante, Hélène Stassova, bientôt
remplacée par Krestinski. Ce dernier est placé dans la situation qu’occupera
Staline en 1922 : il est le seul à appartenir aux trois organismes
dirigeants (d’importance à l’époque très inégale). Mais la place occupée alors
par Lénine et la faiblesse de l’appareil du Parti interdisent à l’homme qui
cumule ces fonctions de jouer un rôle décisif. Le 30 mars, à la fin du
congrès, Staline, sur proposition de Zinoviev, est nommé commissaire au
Contrôle d’État, dont la tâche est de contrôler le fonctionnement de l’appareil
de l’État et d’y débusquer les abus de pouvoir. Staline, chargé de transformer
cette chambre d’enregistrement en véritable inspection, gère désormais deux
commissariats – sans en avoir le temps. Mais ses contrôleurs sauront lui
fournir des dossiers compromettants sur des cadres indélicats.
Il est toujours en relation avec ses amis du front Sud. Le 19 mai 1919,
Antonov-Ovseenko qui commande en chef l’Armée rouge ukrainienne, se plaint,
dans une lettre à Lénine, du désordre qui règne sur ce front et ajoute : « Il
suffit que Staline donne de la voix pour que les camarades ukrainiens passent
des intrigues à l’activité [317] . »
Son crédit est considérable.
Trois semaines plus tard, la révolution balaie la Hongrie,
sortie ruinée et dépecée de l’effondrement de l’Empire austro-hongrois. Le
jeune parti communiste hongrois fusionne avec le parti social-démocrate, dix
fois plus puissant que lui et en quête d’un compromis avec les puissances
alliées. Au début de mai, parties d’Estonie, les troupes du bedonnant général
Ioudenitch, armées et financées par l’Angleterre, lancent une offensive sur
Petrograd. Elles bousculent aisément une Armée rouge épuisée et démoralisée et,
le 19 mai, prennent Peterhof à 30 kilomètres de la ville historique.
Le général tsariste, partisan obstiné de la Russie une et indivisible, se
refuse, en cas de victoire, à confirmer l’indépendance de la Finlande,
indépendance que le gouvernement bolchevik a acceptée, et perd ainsi le soutien
de Mannerheim ; il est tout aussi rétif pour l’Estonie, qui ne l’héberge
que sur l’insistance des Anglais.
Lénine juge pourtant indéfendable le fantôme de l’ancienne
capitale et veut l’abandonner. Trotsky s’y oppose. Fait rarissime, Staline le
soutient contre Lénine, qui l’envoie aussitôt à Petrograd. Il y arrive le 19 mai.
La ville meurt de faim, tout juste sortie d’un hiver glacial qui a fait éclater
les conduites d’eau, et ses habitants, amaigris et blêmes, se chauffent en
allumant leur poêle avec des lattes de parquet, des lambris, des débris d’armoires
et de buffets ou des livres. Les trois quarts des usines ne tournent plus.
Seules quelques rares cheminées de fabriques qui travaillent pour l’armée, et
dont les ouvriers perçoivent une ration spéciale de famine, laissent de temps à
autre s’échapper un nuage de fumée. Les rues et les canaux sont encombrés de
détritus et de déchets où grouillent les rats. Si le ciel est limpide, le moral
de la population laborieuse est au plus bas et réduite son ardeur à défendre la
révolution menacée.
Le soir même de son arrivée, Staline adresse à Lénine un
long télégramme accusateur : « Le commandant du front occidental et
le commandant de la VII e armée produisent l’impression de
nullités dont la place n’est pas au front [318] . »
Dans une ville où pullulent adversaires des bolcheviks, comploteurs et espions
divers, la méfiance ne connaît pas de limite. Ainsi, dans un rapport du 4 juin,
Staline affirme à Lénine : « Non seulement l’état-major général de
toute la Russie travaille pour les Blancs, mais aussi l’état-major général de
campagne de la République dirigé par Kostiaev. » Bref, l’Armée rouge est
dirigée par des traîtres, que Trotsky protège, et par des
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