Staline
tactique, pour introduire
au Comité central un grand nombre d’entre eux, puis préparer un coup. Les « trotskystes »
sont nombreux en Sibérie. Il demande à Mikoian de s’y rendre et de réduire au
minimum le nombre de leurs délégués au congrès.
Il fait feu de tout bois. Le 28 janvier 1922, dans
la cantine du Conseil des commissaires du peuple au Kremlin, une vingtaine de
militants chevronnés, dont Staline, créent la Société des vieux bolcheviks, en
l’absence de Zinoviev, Kamenev et Trotsky. Qui en sera membre dans un parti qui
compte alors 514 000 adhérents ? Staline s’oppose, au nom de l’égalité
et de la démocratie, à l’idée avancée par un participant de « distinguer
parmi les membres de la société les fondateurs des autres : cela donnerait
une nuance de privilèges […] la société doit être composée uniquement de vieux
bolcheviks qui ont adhéré avant 1905 et n’ont jamais quitté le Parti [375] ». Les
statuts qu’il a rédigés sont adoptés à l’unanimité. La société est un club
fermé : de 1922 à 1927, le nombre de ses adhérents ne dépassera guère les
500 membres.
CHAPITRE XI
Secrétaire général
La bureaucratisation du parti communiste au pouvoir provoque
dans ses rangs un vif mécontentement qui explose brutalement au XI e congrès,
en mars 1922. L’Opposition ouvrière a envoyé au Comité exécutif de l’Internationale
une protestation signée par 22 militants dénonçant les atteintes à la
démocratie au sein du parti russe. Une séance à huis clos du congrès en
discute. Le vote, non rendu public, est un avertissement sévère : 227 délégués
votent pour la résolution qui condamne l’appel des 22, soutenue par tout le
Bureau politique, et 215 votent la motion d’Antonov-Ovseenko, qui « réclame
un changement d’attitude à l’égard des dissidents [376] » et
soutient en fait leur protestation. Ce vote illustre l’ampleur du
mécontentement et témoigne du caractère démocratique de l’élection des délégués
dans les congrès régionaux. Staline n’oubliera pas la leçon.
Sa carrière connaît alors un tournant décisif. Au congrès,
Preobrajenski s’en prend à lui parce que, membre du Bureau politique et double
commissaire du peuple, il symbolise à lui seul, explique-t-il, la
bureaucratisation effrénée du pouvoir. Staline ne répond pas. Lénine s’en
charge : « Nul autre que lui ne pourrait être commissaire aux
Nationalités. De même pour l’Inspection ouvrière et paysanne. C’est un travail
gigantesque… Il faut qu’il y ait à sa tête un homme doté d’autorité, sinon nous
allons nous embourber et nous noyer dans les intrigues mesquines [377] . »
Intrigues auxquelles, sérieusement, Lénine le juge étranger.
Le Comité central élu à ce congrès, au cours duquel, comme à
son habitude, Staline n’a pas dit un mot, sauf en coulisses, le nomme, enfin,
le 4 avril 1922, au nouveau poste, apparemment technique, de
Secrétaire général du Comité central, assisté de ses fidèles Molotov et
Kouibychev. Kamenev, qui préside la séance, a proposé sa candidature, en accord
avec Zinoviev. Selon Trotsky, Lénine aurait dit alors : « Ce
cuisinier ne préparera que des plats épicés. » L’authenticité du mot,
répété au fil des ans par des partisans déçus de Staline (Martemian Rioutine,
Fiodor Raskolnikov, etc.), est incontestable. Mais il doit être plus tardif et
ambigu. Lénine, présent, n’élève d’ailleurs aucune objection et rien n’annonce
la brutale dégradation à venir de ses rapports avec Staline. On ne peut donc
suivre Trotsky lorsqu’il affirme dans Ma vie : « Staline avait
été élu Secrétaire général du Parti contre la volonté de Lénine qui se
résignait à le voir à ce poste tant que lui-même était à la tête du Parti [378] . » La Pravda ne l’annonce qu’en quatre lignes, et L’Humanité illustre son annonce par
la photo de Frounzé. La décision paraît donc de peu d’importance.
Staline est alors peu connu en dehors de la hiérarchie, dont
il devient l’intendant. À la différence de Mussolini ou de Hitler, dont l’ascension
a été parsemée de coups d’éclat réussis ou ratés, il semble sortir de l’ombre,
voire de la nuit. Il ne figure pas dans les Silhouettes révolutionnaires de Lounatcharski, commissaire à l’Instruction publique, publiées en 1923.
Effacé, ne paraissant guère à la tribune où d’autres font
Weitere Kostenlose Bücher