Staline
confirme que ce
Kovaliov sert de bouc émissaire à la rédaction ; il écrit la même chose à
Ordjonikidzé. Lui qui fera de la chasse au bouc émissaire un système de
gouvernement la dénonce alors comme « un moyen bon marché, mais incorrect
et non bolchevik de corriger ses propres fautes [604] ».
La formation dans les sommets de groupes de mécontents, même
restreints, montre à Staline à quel point le Parti lui-même est un instrument
fragile. Aussi s’attache-t-il à renforcer les pouvoirs du Guépéou, auquel, le 25 novembre 1929,
le Bureau politique donne le droit de fusiller sur place les pyromanes
coupables d’avoir incendié des édifices publics ou des entreprises (le dossier
du Bureau politique sur cette question porte le nom de « question Iagoda »
et non « Menjinski », le chef théorique du Guépéou, car Staline juge
son visqueux adjoint plus malléable). Staline lui transfère les détenus des
colonies de travail du commissariat à la Justice, condamnés à plus de trois
ans ; il déteste le commissaire à l’Intérieur de Russie, Tolmatchev, qu’il
soupçonne de sympathies « droitières » et qu’il enverra au Goulag
deux ans plus tard. Cette antipathie, ajoutée à la volonté de retirer à la « droite »
un point d’appui, le pousse à rationaliser le fonctionnement des organes répressifs :
un décret du 5 novembre 1930 dissout les commissariats à l’Intérieur
dans toutes les Républiques et transfère tous leurs pouvoirs de police au
Guépéou. Le Guépéou concentre ainsi toutes les fonctions répressives au moment
où les révoltes paysannes reprennent et où des militants du Parti, à la
campagne, se solidarisent avec les protestataires, quand ils ne participent pas
à leurs actions. La lutte de clans engendrée par la concentration du pouvoir
entre les mains de Staline est à l’origine de nombreux incidents. En décembre 1929,
à Leningrad, un certain Dessov, rival de Kirov, rassemble contre ce dernier un
recueil de ses articles patriotiques publiés pendant la guerre dans le journal
libéral Terek. Ordjonikidzé prend la défense de Kirov, mais souligne que
nul, même Staline, n’est à l’abri d’erreurs. Ainsi, dit-il, Staline, lors de
son retour d’exil en 1917, avait proposé de soutenir le Gouvernement provisoire
et de continuer la guerre ! Alors, que reprocher à Kirov ? Staline,
informé, convoque d’urgence le Bureau politique le 7 décembre sur la
question. Le 10, le Bureau politique, la commission de Contrôle, le secrétariat
du comité provincial de Leningrad, tous les secrétaires d’arrondissement et les
membres du Comité central habitant la ville, soit une centaine de cadres
dirigeants, sont réunis, toutes affaires cessantes, pour examiner la question.
Les adversaires de Kirov sont mutés. Ordjonikidzé, dans une note écrite,
affirme : Dessov a menti en lui faisant dire que « même le camarade
Staline n’avait pas été ferme pendant un certain temps [605] ». Bref, il
se déjuge. Staline marque trois points : le remuant Ordjonikidzé est
affaibli tout en reconnaissant par écrit l’infaillibilité du Secrétaire général
qui, désormais, possède un dossier sur son ami Kirov.
Cette affaire de politique interne réglée, Staline peut
revenir à la collectivisation. Le 27 décembre 1929, il déclare :
« Le mouvement kolkhozien a pris le caractère d’une puissante avalanche
antikoulak croissante » et, sans avoir été mandaté par aucun organisme du
Parti, il lance par deux fois le sinistre slogan : « Nous sommes
passés ces derniers temps de la politique de limitation des tendances
exploiteuses des koulaks à la politique de liquidation des koulaks en tant que
classe [606] . »
Le 5 janvier, il présente le décret portant liquidation
des koulaks comme une décision du Comité central. Pour intimider les paysans,
il dépêche une promotion de 27 000 militants, dits « ouvriers de
choc », pour agir en détachements supplétifs des troupes spéciales du Guépéou.
Les empereurs romains promettaient aux dénonciateurs le quart de la fortune de
leurs victimes fortunées ; Staline les imite : il promet une partie
du butin des koulaks aux paysans pauvres, sans terre, sans bétail ni matériel,
pour les mobiliser comme force de frappe. Il fait ainsi du pillage et du
règlement de comptes un moteur de la collectivisation et transforme une partie
des paysans pauvres, enrôlés dans les rangs des
Weitere Kostenlose Bücher