Staline
choisira un
pseudonyme russe moins juvénile, à la fin de 1912, il se rattachera encore par
un fil au Robin des Bois géorgien en inscrivant quelque temps l’initiale « K »
devant Staline. Les autres traits psychologiques qui se manifestent déjà chez
le futur révolutionnaire (autoritarisme, brutalité, duplicité, voire cynisme)
ne sauraient en tout cas effacer le caractère romanesque de cette
identification imaginaire. Joseph Djougachvili s’est un moment projeté dans le
personnage du justicier révolté qui défie l’autorité. Sa passion pour Le
Parricide souligne enfin son rejet d’une autorité paternelle arbitraire qui
avait voulu le ravaler au rang de savetier.
Plus tard, la référence au héros de Kazbegui le gênera. En
1949, l’année de son soixante-dixième anniversaire, un volume d’œuvres choisies
de cet auteur paraît à Moscou. Le Parricide n’y figure pas et le
préfacier n’en dit mot. Le roman ne sera republié qu’après la mort de Staline,
à Tiflis en 1957. La biographie officielle de 1948 n’évoque aucun
pseudonyme : il est Staline dès le premier jour. Le chef d’État efface
toute trace de l’adolescence rebelle.
Le choix du pseudonyme a évidemment une signification
psychologique. Pour l’historien Pokhlebkine, Koba viendrait non pas du bandit
caucasien, mais du roi sassanide Kobades I er , qui régna sur la
Perse de 488 à 531. Il fit creuser des canaux et bâtir des villes, s’appuya d’abord,
contre l’aristocratie terrienne et le clergé, sur la secte dissidente
communiste et égalitariste des mazdakites, favorable au partage des terres et
des richesses, puis se retourna contre ces « communistes » et les
massacra, comme Staline liquidera les vieux chefs bolcheviks [56] . Joseph aurait
appris l’existence de ce Kobades dans les cours d’histoire, puisqu’il fut un
envahisseur de la Géorgie. Pourtant, les condisciples de Sosso ne l’ont jamais
entendu évoquer ce patronage ni cette invraisemblable aspiration à un destin
royal.
Tout dans sa naissance, son enfance, son adolescence devait
susciter en lui la révolte, dès lors qu’il n’envisageait plus la prêtrise. Le
choix de Koba est donc bien le signe d’un tournant dans son existence. Ce
pseudonyme lui est resté jusqu’à la fin des années 1930, dans le cercle
étroit des dirigeants bolcheviks. Dans une lettre de 1938, Boukharine,
emprisonné, l’appelle encore Koba, dans une vaine tentative pour ressusciter le
fantôme du jeune révolutionnaire de jadis.
Sa foi moribonde s’éteint à cette époque. Il déclare à l’un
de ses condisciples : « Tu sais, on se moque de nous, Dieu n’existe
pas [57] . »
Cette phrase annonce le futur Staline : le point de départ de son
raisonnement n’est pas la révélation que Dieu n’existe pas, mais la découverte
d’une duperie : les séminaristes sont trompés, comme il pensera l’être
plus tard par des délégués sournois qui l’applaudissent en le haïssant ou par d’hypocrites
compagnons. Il découvre alors Darwin. La lecture de ce pestiféré des Églises
est bien le signe qu’il a perdu la foi.
Jusqu’à la fin de l’année scolaire (mai 1897), il se
conduit pourtant avec prudence et ne se permet plus que des vétilles (d’ailleurs
non sanctionnées) : deux retards à la prière du soir et une absence aux
premières vêpres ! Encore considéré comme un bon élève, il est admis en
première division de la quatrième classe.
L’année scolaire suivante (1897-98) révèle un changement d’attitude
et un effondrement de ses notes en Écriture sainte (2 de moyenne annuelle !).
Son comportement se fait de plus en plus provocateur. Le registre note en date
du 15 novembre 1897 : « Est sorti de l’église pendant les
premières vêpres, n’est pas revenu à l’église. A expliqué plus tard qu’il avait
mal aux jambes, raison pour laquelle il n’est pas revenu à l’église. » Le
surveillant ne croit pas un instant à cette excuse : « Djougachvili,
cette année, n’a pas encore une seule fois signalé au médecin du séminaire qu’il
avait mal aux jambes [58] . »
Les compositions lui valent des notes aussi mauvaises que l’Écriture
sainte : 2, 3, 2, 2, et 3 ! Il est classé 26 e sur 37
à la fin de l’année et n’est admis qu’en seconde division de la cinquième
classe, l’avant-dernière du cycle des études.
À l’examen terminal d’Écriture sainte en mai 1898, il
obtient 3. Moyenne
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