Staline
véritablement le pas qu’au début de 1898 où, le soir, il fait le mur
avec Joseph Iremachvili pour se rendre dans la maison d’un cheminot socialiste
située dans un faubourg de la ville. Ils y rencontrent d’autres cheminots et
des militants sociaux-démocrates rassemblés par Lado Ketskhoveli, l’organisateur
de la grève du séminaire de 1893, revenu à Tiflis en 1897, et que son frère
cadet Vado a présenté aux séminaristes frondeurs. Les deux Joseph écoutent
avidement. En tant qu’étudiant, il est bientôt invité à prononcer des
conférences : les groupes sociaux-démocrates sont en effet, à l’époque,
autant des cercles d’étude que des organes de lutte.
Le 8 juin 1926, au cours d’un meeting organisé à l’atelier
des chemins de fer de Tiflis en présence de cheminots qui l’avaient jadis
connu, il se rappellera cette « année 1898, quand on m’a confié pour
la première fois un cercle de cheminots des ateliers. […] J’ai reçu mes premières
leçons de travail pratique. […] En tant que militant, j’étais alors
indubitablement un débutant. C’est là, dans le cercle de ces camarades, que j’ai
reçu mon premier baptême de combattant révolutionnaire, […] que je devins un
apprenti révolutionnaire [65] . »
Étant ainsi devenu un « apprenti révolutionnaire » (et non un
dirigeant), il délaisse ses études et ses notes s’effondrent. Est-il pour
autant déjà « membre du parti social-démocrate », proclamé à Minsk en
mars 1898, mais encore en gestation ? C’est peu probable. Le premier
écrit, à la paternité d’ailleurs très douteuse, qui lui est attribué dans ses Œuvres
complètes, remonte à septembre 1901. Le préfacier tente de combler ce
vide en affirmant l’existence d’un « Programme des études dans les cercles
marxistes ouvriers » écrit par Staline en 1898 et malheureusement perdu [66] . Mais de toute
évidence, un débutant ne pouvait être l’auteur d’un manuel destiné aux jeunes
conférenciers.
Il n’adhère qu’en août 1898, à 19 ans et demi, au
groupe d’intellectuels marxistes, dit Messamé Dassy ou Troisième Groupe,
constitué six ans plus tôt, le 25 décembre 1892, par treize jeunes
intellectuels qui, en créant leur propre cercle, cherchaient à se distinguer du
premier groupe d’intellectuels nationalistes, fondé au début des années 1860,
puis du second groupe d’intellectuels libéraux, formé vingt ans plus tard. Leur
marxisme purement littéraire, sans lien avec le mouvement ouvrier balbutiant,
leur permet de se voir confier, en 1896, la direction de l’hebdomadaire libéral Kvali (Le Sillon). Les premiers cercles ouvriers se forment en dehors de Messamé Dassy. Mais le groupe confronté aux problèmes de l’actualité, et
donc de l’action, se divise bientôt en deux camps : d’un côté, les
légalistes privilégient l’analyse économique objective, de l’autre les
partisans de l’agitation politique se tournent vers les ouvriers. Joseph se
rallie à ces derniers.
Le futur président de la Géorgie indépendante menchevique
(1918-1921) Noe Jordania, rédacteur en chef de Kvali et codirigeant de la
jeune organisation social-démocrate de Tiflis, le reçoit un jour. Koba lui
déclare son désir de quitter le séminaire pour consacrer son temps aux
ouvriers. Koba tombe à pic : l’organisation a besoin de propagandistes,
mais Jordania ne décèle chez lui que des connaissances très superficielles,
essentiellement puisées dans les articles du Kvali et chez le théoricien
social-démocrate allemand Karl Kautsky, en histoire, sociologie, économie
politique. Or les ouvriers, avides de savoir, n’écoutent pas les propagandistes
ignorants. Il lui conseille donc de rester un an de plus au séminaire pour
compléter son instruction. Mais comment Koba pourrait-il y approfondir les
disciplines en question puisqu’elles n’y sont que peu ou pas enseignées du tout ?
Les conseils de Jordania l’irritent et il ne manque pas de dire à ses camarades
tout le mal qu’il pense de cette idole de la jeunesse estudiantine.
Le 16 décembre 1898, lors d’une perquisition dans
sa chambrée, il proteste contre les fouilles auxquelles les élèves du séminaire
sont régulièrement soumis et prétend que les autres séminaires de l’Empire
ignorent ce genre de pratiques. « En règle générale, ajoute le rapport du
surveillant, l’élève Djougachvili se montre grossier et irrévérencieux
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