Staline
la paix et du pouvoir
des soviets […]. J’ai partagé cette position erronée avec la majorité du Parti
et je m’en suis séparé au milieu d’avril en me joignant aux thèses d’avril de
Lénine [227] . »
Ce passage disparaîtra des rééditions ultérieures et Staline fera mettre sous
le boisseau le procès-verbal de la conférence d’avril, édité en URSS après sa
mort seulement.
La campagne accusant Lénine d’avoir été envoyé en Russie en
wagon plombé par l’état-major allemand, les poches pleines d’or, se déchaîne.
Au total pourtant, 280 révolutionnaires de tous bords, bolcheviks,
mencheviks, socialistes-révolutionnaires, socialistes patriotes, partisans de
la guerre, que la France et l’Angleterre, méfiantes à leur égard, ne veulent
pas laisser passer librement, entrent en Russie par l’Allemagne ; l’état-major
allemand, convaincu que la révolution affaiblira l’armée russe, et peu au fait
de leurs divergences, favorise ce retour des révolutionnaires russes de toutes
sensibilités. Mais seul Lénine fait l’objet d’une campagne diffamatoire, la
quasi-totalité des autres soutenant peu ou prou le Gouvernement provisoire. Un
mois plus tard, Trotsky, quittant les États-Unis pour rentrer en Russie, sera
interné à Halifax au Canada par les Britanniques, puis relâché au bout d’un
mois à la demande expresse du soviet. Il sera pourtant, lui aussi, accusé d’être
un agent allemand puisqu’il partage la position de Lénine. Le « wagon
plombé » n’est donc bien qu’un prétexte.
Pour désarmer le mécontentement populaire, Milioukov et le
ministre de la Guerre, Goutchkov, démissionnent du Gouvernement provisoire où,
le 1 er mai, entrent quatre dirigeants du soviet. Kerenski
reprend le portefeuille de Goutchkov, le prince Lvov celui de Milioukov. La
petite bourgeoisie et l’intelligentsia défendent le Gouvernement provisoire,
les soldats et les ouvriers soutiennent les soviets. La présence de plusieurs
leaders du soviet dans un gouvernement de coalition fait croire à son « désembourgeoisement ».
Mais l’illusion ne dure que quelques semaines. Tout va, en effet, à vau-l’eau
derrière les discours enflammés des orateurs de la « démocratie »
révolutionnaire : les patrons font payer aux ouvriers la journée de huit
heures imposée, les comités d’usines et les harangues continuelles aux portes
des usines qui sabotent la production ; l’inquiétude ronge la masse des
soldats harassés ; les paysans, mus par une haine des propriétaires et des
nobles venue du fond des âges, envahissent leurs terres.
Staline s’efface. Il est l’un des représentants des
bolcheviks – très minoritaires – au Comité exécutif central des
soviets, mais n’y intervient jamais ; étrangement passif, il se contente d’écouter ;
les procès-verbaux de cet organisme entre le 3 mars et le 9 août ne
signalent que quatre fois son nom, et en passant. Il ne se bat jamais. Les
débats sont longs, acharnés, tempétueux parfois, dans l’atmosphère enfumée du
palais de Tauride. Il faut s’y imposer par son talent oratoire, la clarté de
son analyse ou la fermeté de ses positions, toutes qualités dont Staline est
dépourvu. Tseretelli, dirigeant menchevik du Comité exécutif central,
souligne : « Staline ne prenait jamais part ni aux délibérations ni
aux conversations particulières [228] . »
Le travailliste Stankevitch, dressant la liste des bolcheviks membres du Comité
exécutif auquel il appartenait, va jusqu’à oublier le nom de ce Staline
invisible et muet. Soukhanov, menchevik, dirigeant lui aussi du Comité exécutif
et mari d’une militante bolchevique, insiste sur sa présence fantomatique dans
des souvenirs publiés en URSS en 1922-1923 : « J’ignore comment
Staline a pu accéder aux postes élevés de son parti […]. À l’époque de sa
modeste activité au Comité exécutif, il produisit, et pas seulement sur moi, l’impression
d’une tache grise s’éclairant parfois d’une lumière assez pauvre, sans qu’il en
restât de trace [229] . »
La tache grise jettera Soukhanov en prison en 1931 puis le fera fusiller en
1940.
Les sept mois qui séparent février d’octobre sont marqués
par un happening permanent et enfiévré aux portes ou à l’intérieur des casernes
et des usines, au coin des rues, dans des salles improvisées mais toujours
combles. Staline, vu ses médiocres talents oratoires, n’appartient
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