Stefan Zweig
également, avec La Confusion des sentiments et Destruction d’un cœur . Dans les deux recueils, Alzir Hella a associé ses efforts à ceux d’un autre excellent prosateur, Olivier Bournac. Enfin La Peur ouvrira, en 1935, chez Grasset, un important recueil composé de cinq autres nouvelles (Révélation inattendue d’un métier, Leporella, La Femme et le paysage, Le Bouquiniste Mendel et La Collection invisible) . Les autres nouvelles connaîtront en France une diffusion plus tardive : Brûlant secret , accompagné de Conte crépusculaire , de La Nuit fantastique et des Deux jumelles ne paraîtra chez Grasset qu’en 1945.
Les livres de Zweig sont publiés dans de nombreux pays, et son prestige est immense. Traduits en anglais et en norvégien, en flamand et en turc, en espagnol et en portugais, en bulgare et en arménien, en letton, en finnois, en chinois, ou en russe, dans une édition choisie, précédée d’une flatteuse introduction de Maxime Gorki qui en fut l’initiateur, ils vont faire de leur auteur – selon un bulletin de la Société des Nations, à Genève –, l’un des plus traduits au monde. Leur diffusion le met à l’abri du mal qui ronge l’Autriche entre les deux guerres et va provoquer la ruine de tant de familles autour de lui, l’inflation. Alors que la Neue Freie Presse lui paye un article dix milliards en 1924, aussitôt dépensés le lendemain en menus achats quotidiens, et qu’il perd chaque jour dans son pays des millions que l’effritement de la monnaie dissout dans l’air du temps, ces éditions dans des douzaines de langues lui assurent des revenus en devises fortes. Et lui épargnent pour toujours ce qui n’a point entaché sa vie, les soucis d’argent. Grâce à ses livres, il ne manquera jamais de rien, matériellement.
Comment expliquer le succès des livres de Stefan Zweig ? Il avancera lui-même une explication convaincante : il est, dit-il, un écrivain concis et efficace. Tous ses ouvrages – même les biographies – sont brefs. Ils tiennent parfois en une dizaine de pages. Les nouvelles ne dépassent pas, pour les plus longues, une centaine de pages, les biographies deux cents ou deux cent cinquante, guère plus. Comme lecteur, Zweig avoue avoir horreur des longueurs – descriptions, portraits trop développés, situations qui n’en finissent pas – et applique à ses propres livres ce dégoût salvateur. Il écrit en homme pressé, réussissant à ne dire que l’essentiel sans sécher le récit, ou le réduire à un scénario trop maigre. La poésie, le charme tiennent en deux mots, mais donnent de l’ampleur aux textes les plus courts ; si les livres sont minces, ils ont de la chair. Ils correspondent à un type de lecteurs, tout aussi pressés que l’auteur, qui aiment aller au but sans traîner en route, et qui, amateurs de beau style, répugnent aux circonvolutions. Moderne pour son époque, la concision de Zweig est sans doute ce qui lui a gardé tant de lecteurs aujourd’hui : pour un contemporain qui aime la pluralité des nourritures culturelles et souffre à se concentrer longtemps, Zweig est l’auteur qui l’en libère le plus, et de lui-même !
Comparé aux romanciers allemands qui détiennent des records de longueur, à Thomas Mann en particulier et à sa Montagne magique , qui paraît en deux volumes, en 1924, Zweig est un poids léger. Son art de la nouvelle, qu’il partage avec de nombreux Autrichiens, dont Arthur Schnitzler, est un travail d’intensité. « Si je suis conscient de quelque forme d’art, dira-t-il, ce ne peut être que l’art du renoncement, car je ne me plains pas si de mille pages écrites, huit cents prennent le chemin de la corbeille à papier, et seules deux cents subsistent, qui en sont l’essence filtrée. »
Un autre argument en faveur du succès, mais Zweig est trop modeste pour le faire valoir, tient évidemment aux sujets qu’il traite et qui campent le plus souvent un homme, une femme, un enfant, ou les deux ou les trois à la fois, dans une situation dramatique hors de tout contexte historique : chacun peut s’y reconnaître, y voir un proche ou un ami. Ses nouvelles se prêtent d’autant plus à une diffusion internationale qu’elles sont, par vocation, universelles. Elles mettent en scène des individus ordinaires, dans des situations ordinaires, que seul un suspense intérieur transforme en situations extraordinaires. On les lit le cœur vrillé, presque en apnée,
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