Stefan Zweig
l’ombre et le projettent tout à coup au premier rang, sur une scène où il n’est plus un compagnon, un admirateur, un comparse, mais une vedette. C’est lui que le public veut applaudir. Célèbre presque du jour au lendemain alors qu’il n’était connu que d’une élite, il voit le succès, ainsi qu’il l’écrit, « habiter » sa maison, et quoi qu’il fasse, quoi qu’il écrive, s’attacher à ses pas. Même quand il choisit de traiter un sujet austère ou difficile, les lecteurs le suivent, tous ses livres sans exception s’arrachent. Amok a même un effet à rebours, attirant l’attention sur des œuvres anciennes que les éditeurs ne se lasseront plus de republier. Ainsi Brûlant secret (1911), avant son interdiction par les nazis, en 1933, aura atteint une diffusion exceptionnelle de cent quarante mille exemplaires, dans la seule Allemagne. Chacun de ses ouvrages atteint au minimum le tirage de vingt-cinq mille exemplaires, certains comme La Confusion des sentiments (1926) lui vaudront en un seul trimestre quarante mille lecteurs et Les Heures étoilées de l’humanité atteindront le record de deux cent cinquante mille exemplaires vendus. Ces Heures étoilées (Sternstunden der Menschheit) ou « très riches heures » selon le traducteur français, seront lues dans les écoles comme un chef-d’œuvre, à la grande surprise de l’auteur. Le jour de la sortie de ses livres en Allemagne – n’oublions pas qu’il est édité à Leipzig –, les exemplaires s’envolent, avant qu’un seul article paraisse dans la presse. On s’arrache ses biographies comme ses nouvelles, ses essais comme les places à ses conférences. Appelées à une diffusion de plus en plus large, ses nouvelles connaissent un destin populaire : portées à la scène, récitées en public, elles seront, pour la plupart, transposées en films.
La première adaptation cinématographique est, en 1923, Brûlant secret , dont la version la plus connue sera celle de Robert Siodmak, dix ans plus tard. Mais presque toutes les fictions zweiguiennes donneront lieu à des films : Amok , dès 1927 dans une réalisation de Constantin Mardjanov, La Peur dès 1928, par Hans Steinhoff, sous le titre L’Heure de faiblesse d’une femme ; Lettre d’une inconnue , dès 1929, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme dès 1931. Les metteurs en scène ne se lasseront pas de s’en inspirer, signant souvent à partir d’elles des films troublants et merveilleux. Amok sera adapté trois fois – jusqu’en 1993 ! – tout comme Brûlant secret et Lettre d’une inconnue . Gaby Morlay, Ingrid Bergman, Merle Oberon ou Joan Fontaine accrocheront leurs noms sur l’affiche, aux côtés de Max Ophüls, Fedor Ozep, Vic Saville, Andrew Birkin ou Roberto Rossellini… Les livres de Zweig auront plusieurs vies au cinéma. Vingt-quatre heures de la vie d’une femme sera porté six fois à l’écran entre 1931 et 1968. Zweig, témoin de l’explosion qui accueille son œuvre, les adaptations la transforment sans qu’il en prenne ombrage, aime le septième art. Il le confirme en tant qu’auteur populaire et de qualité. Mais il préférera toujours la littérature au cinéma.
« Le succès me suivait avec une obstination surprenante », résume-t-il. Digne récompense de son travail, de ses efforts, il l’est aussi de son amour : « Je suis attaché à mes livres, comme toi à tes enfants », écrit-il à Friderike, le 28 février 1925. Il se réjouit de compter des lecteurs à peu près partout dans le monde. D’Allemagne, en effet, sa vogue s’est étendue à l’étranger. En France où le Mercure de France a édité ses premiers ouvrages, et où il compte beaucoup d’amis, il a eu la chance de trouver – après Henri Guilbeaux – un traducteur d’exception, capable de rendre le plus fidèlement possible, avec un talent musical, sa prose particulière, ondoyante et sensible, et sa subtilité. Ce traducteur, Alzir Hella – un ancien ouvrier typographe –, accomplira au service de l’œuvre de Zweig, un travail considérable pendant de longues années, et lui amènera un de ses publics les plus enthousiastes. Amok est publié dès 1927 en français chez Stock en même temps que Lettre d’une inconnue et Les Yeux du frère éternel – cette dernière nouvelle remplacée dans l’édition de 1930 par La Ruelle au clair de lune. Vingt-quatre heures de la vie d’une femme l’est dès 1929, chez Stock
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