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Sur la scène comme au ciel

Sur la scène comme au ciel

Titel: Sur la scène comme au ciel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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sur
leur territoire, que l’enfance, on n’y entre pas comme dans un moulin. Pas
commode de trouver une attitude en face de celui-là, le supposé tout-petit, qui
vous interroge ainsi du regard. On demeure paralysé. On n’ose pas. On reste à
l’extérieur de ce périmètre enchanté avec ses rituels particuliers. Il essayait
pourtant, ce père, intimidé, intimidant. Souvenir de travaux d’approche. Un
soir, à l’heure du coucher, dans son pyjama à rayures bleu et blanc, mais aux
couleurs passées se rejoignant l’une l’autre, s’allongeant sur l’édredon de
plumes, qui du coup sous la masse du colosse gonfle exagérément sur ses bords.
Mais qu’est-ce qu’il me veut, cet homme que d’ordinaire je crains ? Trop
de blancs entre nous, qui ne se comblent pas par une invitation à parler, à
échanger comme de vieux copains au moment des retrouvailles. Eût été un
formidable père pour les années à venir. Sans doute plus à son aise dans une
relation amicale qui lui permettait un dosage subtil entre sa culture de la
camaraderie et sa grande rigueur, laquelle décourageait tout excès de
familiarité. Le manque de ce père, plus tard : à crier secrètement de
douleur.
    Et puis, concernant les manifestations de tendresse, qu’on
se rappelle aussi que nous évoluons en Loire-Inférieure, où les pratiques
amoureuses sont sévèrement réglementées par l’Eglise, et qui plus
est – ce qu’illustre le récit du docteur menacé d’expulsion –,
dans un de ces bastions contre-révolutionnaires, à la morale austère,
renfrognée, qui place ses troupes, pour une peccadille, une pensée impure ou un
regard déplacé, sous la menace permanente d’un châtiment infernal à perpétuité,
où l’on honorait encore la mémoire des prêtres réfractaires, ainsi dénommés
pour avoir refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé de
juillet 1790, et que la campagne complice avait dissimulés entre ses piles de
drap dans ses armoires et au cœur de ses meules de foin que les soldats
prenaient un malin plaisir à transpercer de leurs baïonnettes. Peut-être le
pays vivait-il encore sous le choc du massacre de l’armée vendéenne par les
troupes envoyées en catastrophe par la Convention pour éteindre coûte que
coûte, et au diable les moyens, l’incendie blanc qui couvait à l’ouest, les
restes de la jacquerie paysanne, après avoir traversé la Loire et s’être fait
étriper à Savenay, venant mourir chez nous, à deux pas, avec femmes et enfants,
passés à l’arme blanche, sur la butte de Sem. Ce qui explique sans doute
pourquoi, soixante-dix ans plus tard, le pays se singularisait par l’envoi
massif de zouaves pontificaux pour la défense du Vatican, après que Garibaldi,
autre incarnation du caractère satanique révolutionnaire, dévoilant au grand
jour son véritable dessein, eut envisagé de s’emparer des quelques arpents
romains sur lesquels règne l’héritier, en ligne indirecte, de saint Pierre. Des
paysans volontaires, endoctrinés par les hussards noirs de l’Eglise, à qui l’on
prêcha une nouvelle croisade, un nouveau territoire sacré à protéger des forces
du mal, le déguisement carnavalesque s’inspirant curieusement de la tenue des infidèles,
de ceux-là mêmes contre lesquels on avait mobilisé les chevaliers et les gueux
d’Occident pour leur reprendre des mains le tombeau du Christ, mais vraiment un
uniforme de grand mamamouchi, pantalon bouffant (non pas rouge mais gris de
fer, ce qui allait mieux à nos mœurs rigoristes), petit gilet brodé et, au lieu
de la chéchia, le képi français réglementaire, version père Bugeaud, car enfin
l’expression faire le zouave sert rarement à rendre compte d’un acte de
bravoure. Mais ainsi costumés (la culotte bouffante n’étant pas sans parenté
avec le pantalon des Chouans), métamorphosés, ils partirent, nos paysans
campbonnais, virent du pays, Rome, peut-être, et revinrent, après avoir livré
bataille, sous les ordres d’un inévitable baron de Charrette, à Monte Libretti,
à la suite de quoi le diable rouge, impressionné par la furia francese, s’était
retiré, concédant à l’héritier son pré carré pontifical. Restait à nos héros la
gloire de s’être mobilisés plus nombreux que dans aucune commune de France,
plus qu’à Paris, qui n’entendit sans doute jamais parler de nos croisés, plus
qu’à Nantes, qui d’ailleurs fut républicaine pendant la Révolution,

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