Survivant d'Auschwitz
homosexuels transférés au camp portaient un triangle rose. Les membres de sectes religieuses non violentes étaient reconnaissables à leur triangle violet, mais eux aussi, entre-temps, avaient « cessé d’exister ».
La section politique de l’administration SS du camp disposait d’un fichier détaillé concernant qui devait porter quoi. Les Juifs avaient un triangle rouge ou vert, selon, cousu sur un triangle jaune et formant ainsi l’étoile de David. Les triangles des non-Juifs comportaient la première lettre du nom de leur pays d’origine.
Un jeune Juif belgo-polonais, qui avait attentivement écouté toutes nos histoires, nous dit d’un ton amusé : « Alors, la vieille fripouille vous a fait le coup des chaussures ! Ce satané doyen de bloc de Birkenau ! C’est un criminel notoire, polonais, et Juif comme nous. Il mérite d’être embroché comme un porc ! Un de ces jours, on va lui régler son compte. Vous avez eu de la chance de ne pas rester dans cet enfer, vous n’auriez pas tenu longtemps. Ici, les conditions sont un peu meilleures : on fait tout ce qu’on peut pour éliminer ce genre de types. »
Une petite silhouette d’homme apparut au beau milieu des cuves à lessive, qui chauffaient à gros bouillons et dégageaient de la vapeur de toutes parts. Il rejoignit notre groupe. Sur sa tenue propre et correcte, un triangle vert était cousu, et son matricule était dans les numéros mille.
« Alors, c’est vous, les nouveaux arrivants ? » dit-il en nous scrutant de son regard bleu et perçant. Il n’était plus tout jeune. Il ajouta en lui-même : « L’Allemagne, l’Allemagne… Elle fut ma patrie. Aujourd’hui, on est tous pris dans la même toile d’araignée. Bourgeois ou bandits, même destin. Ne vous méprenez pas sur mon triangle vert. J’ai purgé ma peine de prison depuis belle lurette. Je suis ici pour la même raison que vous. La destruction ! S’évader d’ici ? Ce n’est même pas la peine d’y songer ! Les SS contrôlent tout à quinze kilomètres à la ronde. Vous n’avez vu qu’un seul camp jusqu’ici, mais il y en a sept, à Birkenau. Le camp des hommes, celui des femmes, des Juifs, des Tsiganes, des Allemands, ils sont tous séparés les uns des autres. Les candidats à la mort, eux, sont mis dans un camp de barbelés, à part. Il y a cent mille détenus à Birkenau, le reste se promène dans les crématoires. Mais j’veux pas vous faire peur avec d’autres détails.
« Ceci dit, on raconte qu’Auschwitz est un camp modèle, la vitrine pour les délégations de la Croix-Rouge, qui viennent visiter le camp, et vous pouvez être heureux de faire partie de ses dix-huit mille privilégiés. Il y en a quelques-uns parmi vous qui ont été envoyés à Monowitz, la broyeuse d’hommes. On y construit une usine pour fabriquer du caoutchouc synthétique, et les onze mille détenus là-bas sont de véritables esclaves. Même si la nourriture et les conditions de vie sont plus supportables qu’ailleurs, le travail vous fait crever en quelques semaines. »
Notre guide semblait visiblement prendre plaisir à nous montrer qu’il connaissait parfaitement les lieux. Il nous en fit une description d’une précision toute germanique :
« Birkenau, Auschwitz et Monowitz sont les trois camps centraux. Tout autour, il y a les camps annexes, qui sont ici pour exploiter les dernières forces des détenus, tant qu’ils sont encore vivants. C’est le cas de Janina, Jawochno, Jawichowitz, Myslowitz, Sosnowitz, Schwientochlowitz, Fürstengrube, Güntersgrube, et Eintrachtshütte. Presque tous sont des mines. Ensuite, il y a des usines à Gleiwitz, Bobrek, Althammer et Blechhammer ; des carrières de pierres à Gollischau et Trzebinia ; des exploitations agricoles à Babitz, Harmensee et Rajsko. Certains camps ne sont pas autre chose que des cages, même s’il y a près de deux cents détenus qui vivent dans chacun d’eux. Il y a d’autres camps, tout aussi rudimentaires, mais qui comptent jusqu’à cinq mille détenus. Cet empire SS d’esclaves s’appelle Auschwitz, s’élève à près de cent cinquante mille personnes, un chiffre qui ne cesse d’augmenter quotidiennement, malgré tout ce qui s’y passe.
« Non ! » fit-il en secouant la tête. Ses traits étaient taillés à la hache, son nez, triangulaire, pointait en avant. « On n’a pas le choix ici ! D’ailleurs, même si on arrivait à s’évader du camp, je ne vois pas
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