Survivant d'Auschwitz
–, ils furent obligés de monter sur une estrade pour être bien vus de tous les kommandos qui rentraient du travail, et, les bras en l’air, de porter des pancartes sur lesquelles était écrit : « Hourra ! Nous sommes de retour ! » « La conspiration était rusée, mais nous avons échoué ! » « On ne sort jamais de ce camp ! » Traînés jusqu’à la potence, qui jusqu’au lendemain soir trôna sur la place devant les cuisines, ils furent pendus.
En dépit et contre tout, ma décision était prise : si l’occasion de s’enfuir se présentait, je la saisirais. Pour diminuer le danger qu’elle soit découverte ou révélée, ma tentative devait rester un acte solitaire, et il ne fallait pas que j’engage quiconque de l’extérieur pour m’aider, ou que je mette qui que ce soit dans le secret.
Mon action ne manquerait pas de faire de l’effet : je serais le plus jeune détenu qui se serait échappé d’un camp de concentration, et en cas d’échec, j’aurais en tout cas fait preuve de courage.
Quotidiennement, j’observais avec la plus extrême attention le train de marchandises qui sortait du camp. Les wagons étaient poussés par des détenus devant le poste de contrôle et attendaient d’être raccrochés à la locomotive ; ceux qui étaient remplis de caisses ou de gravier étaient à ciel ouvert. Une fois hors du camp, la bâche pouvait offrir un bon moyen de se cacher. Si le lieu de destination était éloigné, je pourrais ainsi parvenir à aller jusqu’au cœur de l’Europe, sinon je tenterais ma chance en Haute-Silésie et de là j’essayerais d’arriver à Beuthen. La question de se procurer des vêtements civils n’était pas un problème : j’avais déjà une chemise sans marque reconnaissable, une fois dehors je jetterais ma veste, couperais les jambes de mon pantalon et en recouvrirais les rayures blanches de boue. Tel un gibier sauvage, je traverserais la campagne et serais deux êtres à la fois : un pauvre garçon inoffensif et un impitoyable fugitif, parfaitement conscient des conséquences de sa capture.
Pendant des jours et des jours, j’étudiai les habitudes du garde responsable du poste de contrôle. Avec son sens du devoir typiquement germanique, il arrivait très exactement cinq minutes avant le départ prévu du train ; il vérifiait le toit des wagons et les châssis ; ici et là, il soulevait un peu la bâche, mais ne prenait jamais la peine de la dénouer ; ensuite, il rentrait dans sa guérite – celle où j’avais un jour reçu une tranche de pain et où je m’étais tapé un discours sur l’impuissance de nos gardiens –, puis il parlait avec l’un de ses collègues ; lorsqu’il entendait le sifflement de la locomotive – elle n’était presque jamais à l’heure –, il ressortait, jetait un dernier coup d’œil rapide sur les wagons et donnait le signal du départ au conducteur du train, qui était polonais. Apparemment, il n’avait jamais la curiosité d’aller vérifier si entre-temps quelqu’un ne s’était pas faufilé à l’intérieur. Il savait que les détenus travaillaient ailleurs et n’avaient donc aucune raison de traîner près des quais de triage, encore moins sans surveillance. C’était là qu’était ma chance.
Sans être vu, je longeai la rangée des wagons ; c’était maintenant ou jamais. Un panneau de destination indiquait : « Berlin » et le pavillon du départ flottait. Le train s’ébranla et quitta la gare, wagon par wagon. Ils roulaient, passaient maintenant devant la chaîne de sentinelles. Je n’avais pas bougé. J’étais resté sur place.
J’étais resté, car, au dernier moment, j’avais réalisé que fuir n’était pas seulement une question de courage, mais une décision à prendre. Mon plan n’avait aucune chance de marcher. Il y aurait des représailles et, si Maman était encore en vie, ils s’en prendraient à elle.
Ce soir-là, je rentrai au camp, mes rêves envolés, et je faisais partie de ceux qui, nombreux, avaient abandonné tout espoir. Pourtant, je n’arrivais pas à croire que la vie pût être finie, quand on avait si désespérément envie qu’elle continue.
Pour la première fois, les airs connus qui saluaient le retour des kommandos de travail – dont le Colonel Bogey – me laissèrent indifférent. Ils résonnaient tel un rire sardonique contre notre impuissance.
Arbeit macht frei disait l’enseigne du camp, quelle irone ! Phrase honnie,
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