Taï-pan
Un jour, Struan partira. Tout le monde sait qu’il veut être député. Tout comme toi tu voudras prendre ta retraite. Un jour.
— On a bien le temps d’y songer, nom de Dieu !
— Oui ; mais un jour tu te retireras, hé ? Alors, moi, je serai Taï-pan, dit Gorth sans dureté, mais d’une voix calme et résolue. Je serai Taï-pan de la Noble Maison, par Dieu, et pas de la seconde compagnie. Culum et Tess, c’est ça qui arrangera tout.
— Dirk ne partira jamais, bougonna Brock, détestant brusquement son fils d’avoir laissé entendre qu’il réussirait là où son père avait échoué.
— Je pense à nous, Pa ! À notre maison. Et à toi, qu’as travaillé nuit et jour pour l’abattre. Et à notre avenir. Culum et Tess. Ce serait parfait. »
Brock se hérissait. Il savait qu’un jour ou l’autre, il devrait passer les rênes à son fils. Mais pas si tôt, bon Dieu. Car sans sa maison, s’il n’était plus Taï-pan de Brock, il mourrait.
« Qu’est-ce qui te fait croire que ça sera Brock-Struan, hein ? Pourquoi pas Struan-Brock et que ça soit lui le Taï-pan et que tu sois débarqué ?
— Te fais donc pas de souci, Pa. Entre toi et le démon de Struan, c’est comme le combat d’aujourd’hui. Vous vous valez. Forts de même, également rusés. Mais moi et Culum, c’est autre chose !
— Je n’en vais y réfléchir. Je prendrai la décision moi-même.
— Bien sûr, Pa. C’est toi le Taï-pan. Avec un peu de joss, tu seras Taï-pan de la Noble Maison avant moi. »
Gorth sourit, puis il alla rejoindre Culum et Horatio.
Brock arrangea un peu le bandeau noir sur son œil et regarda partir son fils, si grand et fort, si jeune, si énergique. Il examina aussi Culum, puis chercha Struan. Il l’aperçut tout seul au bord de l’eau, contemplant la rade. Son profond amour pour Tess, et le désir de la voir heureuse étaient en butte à ce que Gorth avait dit. Il savait que Gorth ne ferait qu’une bouchée de Culum, s’il y avait un conflit entre eux, et que Gorth remporterait l’épreuve de force à son heure. Était-ce souhaitable ? De laisser Gorth dévorer le mari que Tess aimait peut-être ?
Il se demanda ce qu’il ferait, si l’amour naissait, et ce que ferait Struan. Ça serait notre fin à tous les deux, pensa-t-il. Et ça résoudrait tout. C’est pas mauvais, ça, quand même ? Ouais. Mais tu sais bien que le vieux Dirk ne quittera jamais le Cathay – ni toi non plus – et il va y avoir un règlement de compte entre toi et lui.
Il endurcit volontairement son cœur, et en voulut amèrement à Gorth de lui avoir fait sentir sa vieillesse. Il se dit que malgré cela, il devait régler la question. Écraser le Taï-pan. Car Gorth contre Culum, tant que Struan serait en vie le combat était trop inégal.
Quand les dames revinrent, on dansa encore, mais pas le cancan. Struan dansa d’abord avec Mary, qui en fut immensément heureuse ; la force du Taï-pan l’apaisait, lui donnait du courage, et l’impression d’être purifiée.
Ensuite, il invita Shevaun. Elle se pressa contre lui, assez pour être captivante, mais pas assez pour donner lieu à des médisances. Un peu enivré par son parfum, il vit Horatio qui venait chercher Mary et quand il tournoya, la fois suivante, il les vit s’éloigner le long de la plage. Puis il entendit la cloche de bord des navires. Onze heures et demie. Temps d’aller voir May-may.
Lorsque la musique se tut, il reconduisit Shevaun à sa table et s’excusa de la quitter.
« Allez, Dirk. Mais revenez vite !
— C’est promis. »
« Quelle belle nuit, murmura gauchement Mary.
— Oui. Je voulais te raconter une chose amusante, dit Horatio, qui lui tenait légèrement le bras. George m’a pris à l’écart et m’a demandé officiellement ta main.
— Tu t’étonnes qu’on puisse vouloir m’épouser ? répliqua-t-elle froidement.
— Non, voyons ! Mais je trouve présomptueux de sa part de s’imaginer que tu pourrais envisager d’épouser un imbécile de son espèce, grotesque et pompeux. C’est tout. »
Mary considéra son éventail, puis son regard se perdit dans la nuit, sur la mer.
« Je disais que je trouvais…
— Je sais ce que tu as dit, Horatio, interrompit-elle d’une voix sèche. Tu as été charmant et tu l’as apaisé avec des “avec le temps” et “ma chère sœur, ma belle famille”. Je crois que je vais épouser George.
— Tu ne peux pas ! Il est impossible que tu
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