Taï-pan
Votre Excellence et les saints du bon Dieu la préservent en cette belle journée.
— Bonjour, Excellence, souffla Aristote d’une voix sans timbre, en baissant les yeux.
— Et bien le bonjour à vous, Taï-pan, reprit Maureen. Avec la grâce de saint Patrick, y aura le règlement de votre petite note dans quelques jours.
— Rien ne presse. Bonjour, Aristote. »
Aristote Quance leva lentement les yeux vers Struan. Ils brillaient de larmes.
« Elle a brisé tous mes pinceaux, Dirk, murmura-t-il en réprimant un sanglot. Ce matin. Tous. Et elle… elle a jeté ma boîte de peinture à la mer. Et mes couleurs.
— C’est pour ça qu’on vient vous voir, Excellence, déclara Maureen. Mr. Quance a décidé de renoncer à ses folies de barbouillages, à la fin finale. Il veut s’établir, dans un bon emploi bien stable et régulier. Et c’est au sujet de cet emploi qu’on est venus. N’importe quoi, soupira-t-elle en toisant son mari. Du moment que c’est stable et que le salaire est raisonnable. Un emploi de bureau, peut-être bien, Excellence. Le pauvre Mr. Quance n’a guère d’expérience.
— Je… Euh… C’est ce que vous voulez, Aristote ?
— Elle a cassé mes pinceaux. C’était tout ce que j’avais. Mes couleurs et mes pinceaux.
— Nous sommes bien d’accord, mon joli monsieur, voyons donc ? Par tout ce qu’il y a de sacré ? Hein ? Plus de barbouillages. Un bon emploi bien stable, et tu fais ton devoir pour nourrir ta famille, et plus de guilledou.
— Oui, souffla tristement Aristote.
— Je serais heureux d’offrir un poste, Mrs. Quance, intervint Struan. J’ai besoin d’un employé aux écritures. Cinquante shillings par semaine. Et votre logement sur le ponton pendant un an. Ensuite, vous devrez vous arranger.
— Que les saints vous gardent, Taï-pan. Accepté. Remercie le Taï-pan, maintenant, dit Maureen.
— Merci, Taï-pan.
— Soyez demain matin à sept heures au bureau, Aristote. Sans retard.
— Il y sera, Taï-pan, vous avez pas à vous tourner les sangs. J’appelle sur vous la bénédiction de saint Pierre en ces temps troublés, pour avoir pitié d’une pauvre femme et de ses enfants affamés. Bien le bonjour à vous deux, messieurs. »
Ils partirent. Longstaff se versa à boire.
« Dieu de Dieu. À ne pas croire. Pauvre, pauvre Aristote. Vous allez réellement faire un employé d’Aristote Quance ?
— Sûr. Vaut mieux que ce soit moi qu’un autre. J’ai besoin de personnel, dit Struan, très satisfait de lui-même. Je ne suis pas homme à me mêler des affaires entre un homme et sa femme. Mais une personne qui fait ça à ce vieil Aristote ne mérite pas le nom de “femme”, bon Dieu ! »
Longstaff sourit brusquement.
« Je détacherai un bâtiment, si cela peut rendre service. Toutes les ressources du gouvernement de Sa Majesté sont à votre disposition. »
Struan sauta vivement du canot à terre, héla une chaise à porteurs et donna des instructions aux coolies.
« Attendre, heya, savvez ? dit-il, arrivé à destination.
— Savvez, Massi. »
Il passa devant le portier étonné et entra directement dans le salon de la maison. La pièce était richement meublée – grand sofa, rideaux fleuris, tapis épais, miroirs, bibelots. Il entendit un frou-frou soyeux et des pas légers. Une petite vieille dame écarta le rideau de perles. Elle était très soignée, distinguée, avec des cheveux gris, de grands yeux et des lunettes.
« Bonjour, Mrs. Fotheringill, dit courtoisement Struan.
— Et bien, Taï-pan, ça fait plaisir de vous voir. Il y a bien des années que nous n’avons pas eu le plaisir de votre compagnie. Il est un peu tôt pour les visites, mais les petites sont en train de se rendre présentables. »
Elle sourit en révélant un dentier jauni.
« Ma foi, Mrs. Fotheringill, je…
— Je comprends tout à fait, Taï-pan. Il vient un temps dans la vie de tout homme, où…
— Il s’agit d’un de mes amis.
— Ne vous inquiétez pas, Taï-pan. Dans notre établissement, le secret est de rigueur. Ne craignez rien. Nous allons vous arranger ça en un instant. »
Elle se leva, claqua des mains et cria :
« Mesdemoiselles !
— Asseyez-vous et écoutez-moi donc ! C’est au sujet d’Aristote !
— Ah ! Le pauvre bougre est dans de jolis draps ! »
Struan lui expliqua ce qu’il voulait et les filles furent tristes de le voir partir.
Dès qu’il rentra chez lui, May-may
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