Taï-pan
sale drogue. Et alors la flotte pourrait rentrer chez nous et nous vivrions dans la paix et la félicité éternelles. »
En deux jours, Horatio s’était démené, puis il l’avait pris à part et lui avait fait part avec enthousiasme de l’idée de génie qu’il avait eue : se procurer des graines de thé en Chine et les expédier aux Indes. Longstaff avait exprimé sa stupéfaction admirative, d’une façon convaincante, et puis il s’était laissé persuader.
« Mais grands dieux, Horatio ! Comment diable allons-nous nous procurer des graines de thé ?
— Voilà ce que je pensais. Je m’entretiendrai en privé avec le vice-roi Ching-so, Excellence. Je lui dirai que vous êtes passionné de jardinage, que vous avez l’intention de faire de Hong Kong un véritable jardin. Je demanderai vingt-cinq kilos, chaque, de graines de mûriers, de cotonniers, de riz de printemps, de camélias et d’autres fleurs, ainsi que de thés assortis. Comme ça il ne soupçonnera pas que c’est le thé qui nous intéresse.
— Mais, Horatio, c’est un homme très intelligent. Il doit bien savoir que peu de ces plantes pousseront à Hong Kong !
— Naturellement. Mais il le mettra sur le compte de la stupidité barbare !
— Mais comment arriver à lui faire garder le secret ? Ching-so le dira aux mandarins, ou au Co-hong, et ils en parleront sûrement aux marchands. Vous savez bien que ces sacrés brigands remueraient ciel et terre pour empêcher la réalisation de votre idée. Ils comprendront certainement où nous voulons en venir. Et le Taï-pan ? Vous vous doutez bien que ce que vous proposez le mettra en faillite ?
— Il est assez riche, Excellence. Nous devons écraser la malédiction de l’opium ! C’est notre devoir.
— Oui. Mais les Chinois comme les Européens seront implacablement opposés à ce projet. Et quand Ching-so comprendra ce que vous avez en tête, et c’est inévitable, eh bien, ma foi, vous n’aurez pas vos graines. »
Horatio avait réfléchi un moment.
« Oui, mais si je disais qu’en échange de cette faveur qu’il me ferait, car je veux que vous, mon estimé supérieur, soyez heureux du cadeau surprise, si je lui disais que moi, qui dois compter les caisses d’argent et signer le reçu, je pourrais peut-être, ma foi, oublier un coffre… alors on serait sûr qu’il garderait le secret.
— Quelle est la valeur d’un coffre ?
— Quarante mille taels d’argent.
— Mais les lingots appartiennent au gouvernement de Sa Majesté, Horatio !
— Naturellement. Dans nos négociations, nous pourrions nous assurer, secrètement, qu’il y a un coffre supplémentaire non officialisé, donc la Couronne ne perdrait rien. Les graines seraient votre don au gouvernement de Sa Majesté, Excellence. Je serais très honoré si vous disiez que c’est vous qui avez eu l’idée. D’ailleurs, j’en suis sûr. Vous avez dit quelque chose qui me l’a suggérée. Et il est juste qu’on vous en reconnaisse le mérite. Vous êtes le ministre plénipotentiaire, après tout.
— Mais si votre projet réussit, alors non seulement vous détruisez le commerce de Chine mais vous-même. Cela n’a pas de raison.
— L’opium est un vice abominable, Excellence. Tous les risques que nous prendrons se justifient. Mais ma fonction dépend de votre réussite, et non de l’opium.
— Cette réussite sonne le glas de Hong Kong.
— Il faudra des années pour que le thé s’acclimate ailleurs. Hong Kong durera autant que vous. Hong Kong sera le centre du commerce asiatique. Qui sait ce qui peut arriver, avec le temps ?
— Alors, si je comprends bien, vous voulez que je me renseigne auprès du vice-roi des Indes sur les possibilités de la culture du thé, là-bas ?
— Quel autre que vous, Excellence, pourrait mener l’idée, votre idée, à bonne fin ? »
Longstaff s’était laissé persuader et avait fait jurer le secret à Horatio.
Dès le lendemain, Horatio annonçait joyeusement :
« Ching-so accepte ! Il dit que d’ici six semaines à deux mois, les coffres de graines seront livrés à Hong Kong, Excellence. Maintenant, pour que tout soit parfait pour moi, il faudrait que Glessing soit renvoyé immédiatement en Angleterre. Je crois que pour Mary ce n’est qu’une toquade. Dommage qu’elle n’ait pas un an ou deux pour savoir vraiment ce qu’elle veut, sans subir l’influence quotidienne de Glessing… »
Longstaff rit en songeant à la
Weitere Kostenlose Bücher