Taï-pan
bagnes étaient mortels, indescriptibles.
« Oui, c’est terrible. Merci encore, senhor. Notre communauté saura l’apprécier. Merci. »
Vargas sortit mais reparut aussitôt.
« Excusez-moi, Taï-pan. Il y a là un de vos matelots. Le Chinois Fong.
— Faites-le entrer. »
Fong entra en se courbant en deux. Struan examina le Chinois trapu, au visage grêlé de petite vérole. Depuis trois mois qu’il était à bord, il avait beaucoup changé. Maintenant, il portait avec aisance le costume de marin européen, sa longue natte soigneusement roulée dans le bonnet de laine. Son anglais était passable. Excellent marin. Obéissant, docile, apprenant vite.
« Que fais-tu à terre ?
— Capitaine dit pouvoir, Taï-pan. Ma bordée de terre.
— Que me veux-tu, Fong ? »
Fong tendit un bout de papier froissé. L’écriture était enfantine : « Aberdeen. Même endroit. Huit coups, dernier quart. Venez seul. » C’était signé : « Le papa à Bert et Fred ».
« D’où tiens-tu ça ?
— Coolie m’a arrêté, m’a donné.
— Tu sais ce qui est écrit ?
— Je lis, oui. Pas facile lire. Très difficile, ça ne fait rien. »
Struan relut encore une fois le billet.
« Le ciel. Tu l’as remarqué ?
— Oui, Taï-pan.
— Qu’est-ce qu’il te dit ? »
Fong savait qu’on le mettait à l’épreuve.
« Tai-fung, dit-il.
— Combien de temps ?
— Sais pas. Trois jours, quatre, plus, moins. Tai-fung, ça ne fait rien. »
Le soleil avait déjà plongé derrière l’horizon, la nuit tombait vite. Des lanternes s’allumaient le long de la plage et sur les sites en construction. Le voile qui recouvrait le ciel s’était épaissi. Une gigantesque lune sanglante semblait accrochée à dix degrés au-dessus de l’horizon clair.
« Je crois que tu as un bon nez, Fong.
— Merci, Taï-pan. »
Struan agita le papier.
« Qu’est-ce que ton nez te dit, pour ça ?
— Pas y aller seul », répondit Fong.
43
A VEC la nuit, le ciel se couvrit et l’humidité augmenta. Les marchands chinois, habitués depuis longtemps aux humeurs du vent et de la mer, comprirent que la pluie ne tarderait pas. Les nuages annonçaient simplement la première des pluies de la saison, qui soulagerait momentanément de la touffeur moite et de la poussière. Une simple averse, si le joss était avec eux. Si leur joss était mauvais, ce serait une tempête. Et le joss seul déciderait si la tempête se transformerait en typhon.
J’ai chaud, Taï-pan, soupira May-may, qui s’éventait dans son lit.
— Moi aussi, répliqua Struan. Je t’avais dit de rester à Macao. Il y fait bien plus frais.
— C’est possible, mais je n’aurais pas le plaisir de te dire que j’ai chaud, bon Dieu !
— Je te préférais quand tu étais malade. Pas d’insolences, alors, et pas de jurons vulgaires. »
May-may laissa échapper un soupir forcé.
« Taï-pan veut-ah cow chillo jig-jig, Massi ? Peux, oh ko, ça ne fait rien ! »
Struan s’approcha du lit et May-may recula.
« Non, Taï-pan, je plaisantais ! »
Il la prit dans ses bras et la serra très fort.
« Ah ! fillette, guéris vite, c’est la seule chose qui importe ! »
Elle portait une tunique de soie bleu pâle, et ses cheveux étaient élégamment coiffés, son parfum enivrant.
« Je te défends bien d’aller dans les maisons à filles, heya !
— Ne sois pas bête. »
Il acheva de s’habiller, glissa son couteau dans la petite gaine noire et la dague dans sa botte gauche, puis il renoua proprement ses cheveux sur la nuque avec un ruban.
« Pour quoi faire tu coupes les cheveux, Taï-pan ? Laisse pousser une natte comme une personne civilisée. Très joli. »
Lim Din frappa et entra.
« Massi ? Massi Chen ici. Peut ?
— Voir cabine à moi.
— Tu redescendras, Taï-pan ?
— Non, fillette. Je vais directement à terre.
— Demande à Gordon de me voir, oui ?
— Sûr.
— Où tu vas ?
— Je sors, bon Dieu. Et je te conseille d’être sage en mon absence. Je ne serai rentré qu’après minuit. Mais je passerai te voir !
— Oui, oh ! oui, ronronna-t-elle, mais réveille-moi si je dors. Ta vieille mère aime savoir son fils sain et sauf. »
Il lui caressa tendrement la joue et monta à sa cabine sur le pont supérieur.
« Bonsoir, Gordon. »
Gordon Chen paraissait extrêmement soucieux.
« Bonsoir, Taï-pan. Je suis si heureux d’apprendre la bonne nouvelle du
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