Talleyrand, les beautés du diable
France pourrait être impliquée.
Auréolé de ce succès, il obtiendra enfin son maroquin tant caressé, il en était sûr, maintenant.
Mais il se trompait. Parce qu’à Paris rien ne va plus. Le 20 juin, les Tuileries ont été assiégées et Louis XVI a dû se coiffer du bonnet rouge. Le 10 août, le pauvre descendant d’Hugues Capet a été amené manu militari au Manège où siégeait l’Assemblée, avant d’être enfin conduit au Temple, sa dernière prison.
Le roi est suspendu de ses fonctions, le nouveau gouvernement s’appelle la Convention nationale.
Avec Danton à la Justice !
À la justice expéditive, même, car ce gros fondateur du club des Cordeliers ne tardera pas à donner son feu vert aux massacres des journées de septembre et à instaurer le régime de la Terreur.
Et c’est pourtant dans son antichambre qu’au dernier jour du mois d’août on rencontre Charles Maurice « en bottes de cavalier et culottes de peau, en chapeau rond, petit frac et petite queue ». Il y est à l’affût d’un passeport. Cauteleux, il prétend qu’il doit poursuivre sa mission en Angleterre. Et si étonnant que cela puisse paraître, il finit par avoir gain de cause. Il obtient son viatique ! Et signé de six ministres, qui plus est !
Un passeport, oui, car ce précieux document lui permettra un jour, si Dieu le veut, de n’être pas inscrit sur la liste des émigrés.
L’habile homme ! N’avait-il pas condamné officiellement l’émigration dans laquelle il voyait comme une désertion coupable ?
— Qu’on accorde un laissez-passer à Maurice Talleyrand qui doit aller à Londres par nos ordres, avait fini par céder Georges Danton.
Et ce bout de papier allait évidemment lui sauver la vie. Il serait resté à Paris, sa jolie tête poudrée et malicieuse eût sans doute fini au bout d’une pique.
Après avoir trouvé le temps d’aller embrasser son fils et d’expliquer à Adélaïde de Flahaut que cette révolution n’était plus la sienne, qu’il n’avait pas souhaité la voir se déployer dans la rue, le 9 septembre, il parvient à quitter la France.
En se moquant donc du sort qui serait réservé à la femme qui lui avait tant apporté et à laquelle il avait failli faire un deuxième rejeton ?
Non. Car, s’il est foncièrement égoïste, il sait aussi n’être pas ingrat. En quittant Adélaïde, il a pris ses dispositions pour qu’elle le rejoigne, accompagnée du petit Charles et du fidèle Governor Morris, dévoué comme un chien de garde mais sans os à ronger.
Cependant, à Londres, ils ne font pas logis commun. Pour madame de Flahaut, une mansarde bien plus modeste que celle de son Louvre, pour lui, une petite maison à Kensington Square, à deux pas de Hyde Park, dans laquelle il fait aménager sa bibliothèque. On ne sait quelle combine il avait utilisée mais toujours est-il qu’il était parvenu à faire traverser la Manche à sa somptueuse collection de livres.
Il lui reste à peine trois sous, et elle, elle est ruinée. Pour survivre, Adélaïde se lance alors dans la confection de chapeaux à la française.
— Vous gaspillez votre talent en vous contentant de jouer les modistes, lui dit un jour Charles Maurice. Je vous vois très bien écrivant un roman, je suis sûr que votre plume aurait un vrai succès.
Et six mois plus tard, Talleyrand corrigeait les épreuves d’un manuscrit titré Adèle de Sénange dans lequel il ne manqua pas de se reconnaître en parcourant ces quelques lignes : « Tour à tour riche et pauvre, personne n’est plus magnifique et personne ne se passe mieux de fortune. Les femmes ont occupé une grande partie de sa vie : parfait pour celle qui lui plaît, jusqu’au jour où il l’oublie pour celle qui lui plaît davantage. Alors son oubli est entier... Il sera toujours aimable parce qu’il est insouciant... »
Les femmes occupent une grande partie de sa vie, observe Adélaïde, et elle ne croit pas si bien dire car il ne se passe en effet que peu de jours anglais avant qu’elle n’apprenne que son indomptable Charles Maurice s’en est allé à prendre ses habitudes crapuleuses chez Mrs Cosway, une artiste peintre résidant dans le Surrey, quand il ne batifole pas chez Mrs Philipps, à Juniper Hall ou chez Germaine de Staël, débarquée à Londres, elle aussi.
Mais il existait tout de même une justice divine. La pire pour Talleyrand, celle qui exhalait un certain parfum de revanche...
Un jour, en effet,
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