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Talleyrand, les beautés du diable

Talleyrand, les beautés du diable

Titel: Talleyrand, les beautés du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Decker
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s’il le gardait toujours retroussé, Talleyrand n’a pas réellement eu le nez creux. Car, en se rendant acquéreurs de la Louisiane, les États-Unis allaient subitement doubler leur superficie et se donner les bases d’un véritable empire. D’autre part, en abandonnant cette gigantesque possession coloniale (elle s’étendait en effet du golfe du Mexique jusqu’au territoire de la Compagnie de la baie d’Hudson !), la France perdait à jamais sa chance de jouer un rôle dans le Nouveau Monde.
     
    Un an après avoir cédé la Louisiane à Jefferson, Charles Maurice aurait livré le duc d’Enghien à Bonaparte.
    Enghien avait contre lui d’être un prince de la maison de Bourbon. En outre, le chouan Cadoudal, qui venait d’être arrêté, était passé aux aveux. Oui, le descendant du Grand Condé aurait volontiers conspiré contre Bonaparte.
    Ce qui était rédhibitoire.
    — Il faut que l’on s’empare de ce Condé, tempêta le consul à vie. Où se cache-t-il ?
    Alors, Talleyrand, qui savait tout, avoua :
    — Dans le grand-duché de Bade, à Ettenheim précisément.
    Ainsi parlait Charles Maurice le 10 mars de 1804.
     
    Cinq jours plus tard, après avoir violé la frontière, deux cents hommes sont arrivés à Ettenheim, une petite ville sise non loin de Strasbourg et de Fribourg-en-Brisgau. Ils ont cerné la maison du prétendu conspirateur, en ont enfoncé les portes et se sont emparés de lui. Direction Paris. On l’a simplement autorisé à emmener avec lui un petit compagnon de voyage, un carlin nommé Mohilof.
    Le 20 mars au soir, on arrive à Vincennes. Enghien est bel et bien prisonnier du gouvernement consulaire. Mais il ne s’inquiète pas trop, n’ayant jamais participé à quelque complot que ce soit, il n’imagine pas que l’on veuille attenter à sa vie.
    — Si l’on veut bien me permettre d’aller tirer le lièvre dans les bois voisins, je donne ma parole que je ne tenterai rien pour m’échapper.
    On ne lui répond pas. On lui apporte seulement un petit panier de victuailles.
    — J’ai une grâce à vous demander, dit-il à son geôlier : j’ai avec moi un ami fidèle, le seul ami dont on ne m’ait pas séparé. Permettez que je partage avec lui ce léger repas.
    À minuit, dans le pavillon où on l’a enfermé, le duc est réveillé par le grincement de la serrure. Mohilof grogne.
    — Eh bien ! pourquoi si tôt ? Le jour ne paraît pas encore ! On est bien pressé ! Il me semble que quelques heures plus tard vous auraient convenu et à moi aussi ! Je dormais si bien...
    Mohilof aboie.
    On le somme de quitter sa chambre. « L’air froid et humide le frappe au visage. » Dans les douves, au bas du pavillon de la reine, le citoyen Bonnelet accomplit une étrange besogne. Il creuse une sorte de fosse.
    — C’est pour enfouir des immondices, lui a dit Harel, le gouverneur du château.
    Enghien aura beau soutenir qu’il n’appartenait à aucune conjuration, il aura beau réclamer qu’on veuille bien lui accorder un quart d’heure de conversation avec Bonaparte afin de « s’expliquer sur sa situation de prince exilé combattant pour son roy », la sentence d’un tribunal hâtivement manoeuvré par Savary, l’aide de camp du consul, ne va pas tarder à tomber : c’est la mort.
    — Il est inutile de déranger les Tuileries, a tranché Savary.
    Le seul problème qui le préoccupe, ce commandant de la gendarmerie d’élite, est de savoir où ? Où va-t-on fusiller le condamné ?
    21 mars 1804, trois heures du matin.
    — Où me conduisez-vous, demande Enghien d’une voix anxieuse. Est-ce à la mort ? Dites-le-moi !
    On le pousse dans un escalier obscur qui semble interminable. Inquiet, flairant la pierre humide, Mohilof trotte toujours à ses côtés.
    Les douves. On s’arrête à quelques pas de la fosse aux ordures creusée par le bonhomme Bonnelet. Savary a décidé que ce serait là. D’ailleurs, le peloton d’exécution est déjà prêt.
    — Il faut donc mourir, et de la main des Français !
    Enghien chasse Mohilof qui se colle sans cesse dans ses jambes. Une formidable détonation suivie d’une fumée épaisse qui traînera longtemps dans les fossés.
    Le trou est là, tout proche. Les soldats y jettent négligemment le corps criblé de balles du fils unique du dernier des Condé. Quelques pelletées de terre suffiront à le recouvrir.
    Resté seul, le carlin tourne en rond, il gratte un peu le sol fraîchement remué, il

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