Talleyrand, les beautés du diable
près, ne fut jamais en mesure de s’en apercevoir.
Ce qui ne fut pas le cas de Charles Maurice.
Car il aimait regarder ses maîtresses dans le blanc de l’oeil.
N’en eussent-elles qu’un.
Madame Hoffmann raconte encore que sa protégée avait été comme envoûtée par le prince de Bénévent, qu’elle voulait vivre avec lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre, qu’elle souhaitait être son esclave.
— Seulement voilà, ajoute l’indiscrète gouvernante, monsieur de Talleyrand traînait toujours derrière lui un harem de dames hystériques qui se querellaient sans répit, luttant pour gagner ses bonnes grâces, et la comtesse Marie-Thérèse en concevait une vive jalousie.
Et c’était sans compter sur les délicieuses ballerines du Théâtre français de Varsovie que l’insatiable Charles Maurice ne se privait pas de lutiner. On raconte même que l’une d’elles, Isabelle Sobolewska, la plus gracieuse selon la comtesse Potocka, se serait un jour retrouvée dans une situation intéressante.
L’insatiable Charles Maurice !
— Il avait toujours les poches pleines de femmes, confiera Napoléon à Gourgaud lorsqu’il fera le bilan de sa vie, plus tard, à Sainte-Hélène. Madame Walewska ? C’est lui qui me l’a procurée, mais elle ne s’est pas défendue.
Ici, l’Empereur fanfaronnait un peu car il avait quand même dû attendre plus de trois semaines avant qu’elle n’abdiquât.
Chapitre douze
Le drapeau espagnol flotte sur Valençay
Entre deux comtesses ou deux ballerines, la guerre continue.
Les Prussiens ont été écrasés à Iéna, le champ d’Eylau s’est transformé en étal de boucherie – quarante mille morts dont autant de Français que de Russes ! –, Friedland achève d’anéantir le tsar.
— Mes aigles sont arborées sur le Niémen, annonce fièrement Napoléon.
— J’aimerais considérer cette victoire comme un avant-coureur, comme un garant de la paix, comme devant procurer à Votre Majesté le repos qu’au prix de tant de fatigues, de privations et de dangers, elle assure à ses peuples. J’aimerais la considérer comme la dernière qu’elle sera obligée de remporter. C’est par là qu’elle m’est chère car, toute belle qu’elle est, je dois l’avouer, elle perdrait à mes yeux plus que je ne puis dire si Votre Majesté devait marcher à de nouveaux combats et s’exposer à de nouveaux périls sur lesquels mon attachement s’alarme d’autant plus facilement que je sais combien Votre Majesté les méprise.
Mais non, Napoléon ne fera jamais la paix escomptée par Talleyrand. S’il en conclut une avec la Russie, c’est pour mieux faire la guerre à l’Angleterre et à l’Espagne.
Alors, de retour à Paris, Charles Maurice prend sa décision. Dorénavant ce sera sans lui.
— Je ne veux plus être le bourreau de l’Europe, confie-t-il à son entourage. La Prusse est détruite, mais mal détruite. L’Espagne sera renversée, mais se relèvera. L’Empereur ne marche plus au nom des peuples, il cherche de la gloire et des États pour son propre compte. Il entame la fatale carrière du népotisme. Je crois donc ne pas devoir le suivre dans ce système, aussi ai-je décidé de quitter le ministère des Relations extérieures.
En outre, il se plaignait de n’être pas suffisamment payé (on le reconnaît bien là !), il prétextait qu’eu égard à son infirmité et à son grand âge (il n’avait cependant que cinquante-trois ans !), les incessants voyages auxquels le contraignait son patron lui étaient devenus intolérables. Pour un peu il aurait même prétendu qu’il ne pouvait vivre longtemps loin de son épouse !
Napoléon accepta sa démission. L’Empereur fut-il satisfait ou était-il contrarié de cette désertion ? On ne le saura jamais. D’une part il commençait de trouver que le prince de Bénévent était trop pacifiste à son gré, mais par ailleurs il ne pouvait que regretter son grand art de négociateur.
— Pourquoi a-t-il voulu quitter le ministère ? lancera-t-il un jour de 1813 à Caulaincourt. Il y serait encore s’il l’avait voulu.
— Ce qui est sûr c’est que Charles Maurice n’a pas abandonné l’Empereur dans sa chute, il s’est séparé de lui en pleine gloire, observe Émile Dard, un de ses meilleurs biographes.
Adieu le maroquin de ministre, donc, mais pour services rendus à l’Empire Napoléon lui accorda immédiatement le titre de vice-Grand Électeur.
— Ah ! ironise
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