Tarik ou la conquête d'Allah
les coups d’épée qu’on voudra vous asséner sur la
tête. Jetez-vous au milieu des lances des ennemis, cela vous protégera de leurs
pointes. Baissez le regard, c’est ainsi qu’on affirme son énergie et qu’on
rassérène son cœur. Gardez le silence, cela écarte la faiblesse et convient à
la gravité d’un soldat. Soyez attentifs à vos étendards et portez-les haut.
Faites preuve d’un courage constant et véritable parce que c’est à force de
constance qu’on obtient la victoire.
Certain de l’emporter, Roderic lança
à l’assaut sa garde personnelle et les nobles en qui il avait confiance. Une
gigantesque vague humaine s’abattit, dans un grand concert de trompettes, sur
les Berbères dont les rangs ondulèrent sous la violence du choc. Amr, qui
commandait le flanc gauche, eut deux chevaux tués sous lui. Il avait le plus
grand mal à arrêter la progression de l’adversaire qui faisait des coupes
sombres dans ses rangs.
Désespérant de pouvoir rétablir la
situation, il se fraya un chemin jusqu’à Tarik pour lui demander secours.
Celui-ci se battait avec une fougue incroyable, tranchant têtes et bras tout en
poussant des cris rauques. Les sabots de sa monture piétinaient les cadavres et
pataugeaient dans des flaques de sang. Le général musulman refusa d’aider son
adjoint. Il lui montra au loin un nuage de poussière. Akhila et Théodomir
abandonnaient les positions qu’ils étaient censés défendre et prenaient la
route de Toletum.
Quand les Wisigoths réalisèrent
qu’ils étaient abandonnés par l’arrière-garde, la plupart des soldats, les
nobles en premier, quittèrent le champ de bataille. Ils n’avaient plus qu’une
idée : rentrer chez eux au galop pour évacuer vers les montagnes du Nord
leurs biens et leurs familles. L’infanterie ne tarda pas à les imiter dans un
désordre indescriptible. Beaucoup de fantassins se noyèrent en tentant de
traverser le fleuve à la nage. Roderic, qui chevauchait sa jument préférée,
Orelia, n’avait plus avec lui qu’une centaine d’hommes, décidés à lui faire un
rempart de leurs corps. Bientôt, il resta seul face à l’armée des Ismaélites. Ému
par son courage, Tarik Ibn Zyad l’aurait volontiers épargné, mais il avait
promis de livrer à Julien, mort ou vif, l’immonde brute qui avait déshonoré sa
fille. Il ordonna à Amr d’affronter en combat singulier le dernier roi
wisigoth.
La joute dura une partie de
l’après-midi. Roderic esquivait les coups que lui portait son adversaire et
manœuvrait habilement sa monture. Alors que le soleil déclinait, Orelia
commença à donner des signes de fatigue. Il lui était de plus en plus difficile
de supporter le poids de son cavalier et de sa lourde armure. Soudain, le
cheval s’écroula. Tombé la face contre terre, le souverain ne put se relever à
temps pour parer l’estocade mortelle d’Amr. Un Berbère avide de récompense se
précipita pour lui trancher la tête. Celle-ci fut envoyée à Septem avec une
lettre demandant au gouverneur byzantin de faire transporter en Ishbaniyah les
contingents de Mughit al-Roumi.
Le soir de cette bataille mémorable,
après la dernière prière de la journée, Tarik reçut sous sa tente ses officiers
et ses deux conseillers juifs, Isaac et Samuel. Tous le félicitèrent chaudement
cependant qu’il tentait de modérer leur enthousiasme :
— Je n’ai aucun mérite personnel.
Allah le Tout-Puissant et le Tout-Miséricordieux a protégé Ses enfants et leur
a donné la victoire. Je ne suis que l’instrument de Sa volonté.
— Tu es trop modeste, fit Amr.
Je ne suis pas un impie, loin de là, mais j’ai bien cru que nous allions être
tous exterminés quand la cavalerie ennemie a enfoncé nos rangs. J’avoue t’avoir
maudit quand tu m’as refusé des renforts.
— Tu n’en avais pas besoin.
— Comment pouvais-tu le
savoir ?
— Ces deux hommes, répondit
Tarik en désignant Isaac et Samuel, ont joué un rôle plus important que tu ne
le penses. Hier soir, alors que tu dormais, ils ont rencontré secrètement
Akhila et Théodomir, que Roderic avait décidé d’écarter du champ de bataille,
leur infligeant de la sorte une humiliation intolérable. Les fidèles de Witiza
ont décidé de se venger en me prêtant main-forte et en acceptant de battre en
retraite.
— À quelles conditions ?
— Je leur ai donné l’assurance
qu’ils conserveraient leurs biens et leurs titres. Cela leur a suffi. Je
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