Tarik ou la conquête d'Allah
chefs se disputaient âprement le
gouvernement de la province. L’un des titulaires de cette charge, le Kaisite
Oqba Ibn al-Hadjdjadj al-Salidi, humilia à ce point les frères de race de Tarik
Ibn Zyad, confisquant les terres qui leur avaient été attribuées lors de la
conquête, que la plupart d’entre eux se révoltèrent et, avec l’appui des tribus
vivant en Ifriqiya, infligèrent aux Arabes plusieurs défaites. Le calife
Hisham, informé de la situation, ordonna l’envoi en Ishbaniyah des djunds [31] stationnés en Syrie sous le commandement d’un chef réputé pour sa cruauté,
al-Sumayl Ibn Halim al-Kilabi. Ce dernier rétablit l’ordre en faisant exécuter
des milliers d’insurgés dont les terres furent données aux Shamiyun [32] en récompense de leurs bons et loyaux services.
Azim supporta sans broncher
l’arrogance des nouveaux venus qui ne tardèrent pas à s’entredéchirer et à
rechercher son appui, qu’il se garda bien de leur accorder. Sa seule joie fut
de constater qu’al-Sumayl fut évincé par celui qu’il avait nommé wali de
l’Ishbaniyah, Youssouf Ibn Abd al-Rahman al-Fihri.
Le fils d’Égilona préparait sa
revanche. Il disposait d’un excellent informateur en la personne de Benjamin,
le fils d’Isaac. Ce prospère marchand se rendait fréquemment en Orient pour s’y
fournir en tissus précieux et en épices. Grâce au concours de ses
coreligionnaires locaux, il put avertir le chef des Berbères que la révolte
grondait à Damas. Aussi, son protecteur ne fut-il pas surpris outre mesure
quand un courrier apporta à Kurtuba une nouvelle qui fit sensation : la
lignée des Omeyyades, parmi lesquels était choisi depuis des décennies le
calife, avait été tout entière exterminée. Seul un jeune prince, nommé Abd
al-Rahman, avait pu s’échapper et Azim eut le pressentiment qu’il ne tarderait
pas à venir chercher refuge auprès de ses nombreux partisans en Ishbaniyah.
Chapitre V
Sous la hutte de roseaux qu’une
vieille femme édentée avait bien voulu lui concéder comme refuge, le jeune
homme tremblait de tous ses membres. Il avait pris froid en traversant de nuit
l’Euphrate à la nage pour échapper à ses poursuivants. Pour tout compagnon, le
fugitif n’avait plus qu’un esclave qu’il avait jadis affranchi pour se
conformer à la maxime du Prophète : « Qu’est-ce qui t’apprendra la
voie ascendante ? « Libérer un esclave ». » Badr était le
seul témoin de sa splendeur passée quand il vivait à la cour de Damas, entouré
du respect et de l’affection de tous.
Petit-fils du calife Hisham, Abd
al-Rahman avait grandi au palais, élevé par sa mère, Rah, une Berbère captive
originaire du lointain Maghreb où vivait sa tribu, les Nefaza. Douce et
réservée, elle s’occupait aussi de son plus jeune fils, Sulaiman, de son neveu,
Yahia Ibn Moawiya, et de sa tante Abda, qui aimait la compagnie des poètes et
des lettrés. Abd al-Rahman avait passé ses jeunes années dans le luxe et
l’insouciance, s’abstenant de participer aux complots et intrigues qui se
multipliaient depuis la mort de son grand-père.
Les successeurs d’Hisham,
al-Walid II, Yazid III, Ibrahim et Marwan II, s’étaient tous
montrés incapables de mâter les soulèvements répétés des Chiites et des
Kharidjites, ces hérétiques qui osaient se prétendre les défenseurs de la vraie
foi. Pour conserver le pouvoir, ils s’étaient appuyés sur leurs généraux et sur
leurs conseillers qui en profitaient pour piller les caisses du Trésor quand
ils ne fomentaient pas en sous-main des révoltes.
L’un d’entre eux, Abbou I-Abbas
Abdallah, petit-fils d’Abdallah, cousin germain du Prophète, avait fini, dévoré
par l’ambition, par se faire proclamer calife le 12 rabi 132 [33] à Koufa où des
milliers de guerriers, rêvant de pillages, l’avaient rejoint. Marwan avait
marché contre lui à la tête de son armée mais avait été battu en
djumada II 132 [34] .
Abandonné par ses principaux officiers, il s’était réfugié en Egypte où il
avait été assassiné quelques mois plus tard par un émissaire du nouveau calife.
Depuis son accession au trône,
Abbou I-Abd, surnommé à juste titre al-Saffah, le Sanguinaire, n’avait
qu’un seul but : éliminer un par un tous les membres de la dynastie
omeyyade, auxquels il vouait une haine inexpiable. Par toute l’étendue de
l’empire, on racontait à voix basse, par crainte des espions, les
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