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Tarik ou la conquête d'Allah

Tarik ou la conquête d'Allah

Titel: Tarik ou la conquête d'Allah Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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que l’émir accordait aux Kaisites et aux Berbères. Abd al-Rahman,
conscient qu’une longue campagne serait nécessaire pour venir à bout de cette
sédition, s’enferma, pour passer l’hiver, dans la forteresse de Karmuna [51] qui regorgeait de vivres et de fourrages. Son adversaire mit le siège devant la
place forte et ravagea les villages voisins. Ses assauts contre les murailles
épaisses échouèrent tous. Le désœuvrement gagna bientôt ses troupes,
contraintes de s’abriter sous des tentes qui les protégeaient mal du froid. Des
centaines de combattants désertèrent et les autres répugnaient à exécuter les
ordres qu’on leur donnait.
    Les espions d’Abd al-Rahman
l’avertirent qu’à la nuit tombée, rares étaient les sentinelles qui demeuraient
en faction à leurs postes. Dès que les officiers avaient le dos tourné, les
soldats préféraient rejoindre leurs camarades auprès des grands feux que
ceux-ci allumaient pour se réchauffer. Après avoir consulté ses commandants,
l’émir se décida à frapper par surprise. Par un soir sans lune, il quitta la
citadelle avec un fort parti de cavaliers et parvint jusqu’au camp ennemi où
ses hommes semèrent la terreur. Les rebelles s’enfuirent en désordre cependant
que Mughit et ses officiers opposèrent une résistance désespérée avant d’être
capturés et décapités sur-le-champ.
    L’affaire n’en resta pas là. Avec
l’âge, Abd al-Rahman s’était aigri et se montrait volontiers cruel. La mort de
Fatima, son épouse préférée, l’avait profondément affecté et ses enfants lui
donnaient bien des soucis. Suléiman passait son temps avec des garnements et
faisait le désespoir de ses précepteurs. Hisham, lui, étudiait avec passion le
Coran et allait de mosquée en mosquée écouter les prédicateurs, y compris ceux
qui abusaient de la crédulité des fidèles. Quant à Abdallah, il était timide et
se cloîtrait dans ses appartements, refusant tout contact avec l’extérieur.
Comme Badr était souvent en mission, Abd al-Rahman, livré à lui-même, n’avait
plus personne pour le mettre en garde quand il prenait des décisions hâtives.
Ce fut ce qui se passa à Karmuna.
    Ivre de colère et de vengeance,
l’émir décida de faire embaumer les têtes de ses victimes et confia à un
officier de sa garde une mission plutôt singulière. Il le chargea de partir
pour l’Ifrandja, d’y débarquer clandestinement et de déposer sa sinistre
marchandise devant la grande mosquée de Kairouan. Au petit matin, quand les
premiers fidèles arrivèrent pour faire leurs dévotions, ils s’approchèrent,
intrigués, d’un gros sac de toile abandonné et détalèrent à toute vitesse quand
ils découvrirent son contenu. Accouru sur les lieux, le wali reconnut sans
peine Mughit et ses compagnons. Il dépêcha à Bagdad un émissaire porteur de
l’effroyable nouvelle. Sitôt averti, le calife Abou Djafar al-Mansour réunit
ses conseillers et, d’un ton lugubre, leur dit : « Allah soit loué
qui a mis la mer entre moi et pareil démon ! À son tour, il mérite bien le
surnom d’al-Saffah, « le Sanguinaire ». »
    Ses courtisans s’efforcèrent
d’apaiser son courroux en lui expliquant qu’Abd al-Rahman régnait sur un
immense empire et que nul monarque n’égalait sa puissance. Dédaignant ces viles
flatteries, le calife leur demanda :
    — À votre avis, qui mérite d’être
appelé « le Sacre des Kouraishis » [52]  ?
    — Toi, noble seigneur ! Tu
as vaincu des princes puissants, dompté maintes révoltes et mis un terme aux
désordres civils.
    — Non, je ne suis pas digne de
ce titre.
    L’un de ses vieux amis, Saïd Ibn
Abdallah, soucieux de ne pas le contrarier, crut trouver une parade :
    — Ta modestie te fait honneur
et te sera comptée au nombre de tes vertus. Sans doute penses-tu que cette
appellation conviendrait mieux à Omar, le successeur du Prophète, sur Lui la
bénédiction et la paix !
    — C’était un guerrier
valeureux, mais ce n’est pas lui dont je parle.
    — Qui donc alors ?
    — À toi, mon ami, je puis
l’avouer, le Sacre des Kouraichis, c’est Abd al-Rahman Ibn Moawiya, lui qui,
après avoir parcouru seul les immenses espaces de l’Afrique et de l’Asie, a eu
l’audace de s’aventurer sans armée dans un pays inconnu de lui, situé de
l’autre côté de la mer. N’ayant pour tout soutien que son habileté et sa
persévérance, il a su humilier ses orgueilleux

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