Tarik ou la conquête d'Allah
adversaires, tuer les rebelles,
mettre ses frontières en sûreté contre les attaques des Chrétiens, fonder un
grand empire et réunir sous son sceptre un pays morcelé entre différents chefs.
Voilà ce que personne n’avait fait avant lui.
Abd al-Rahman n’en avait pas fini
avec les révoltes. Un maître d’école berbère, Shakya, originaire de
Shantabariya [53] prit la tête d’un mouvement hérétique. Sous le prétexte que sa mère s’appelait
Fatima, il affirma que celle-ci descendait de la fille du Prophète et se
proclama adepte du chiisme, « la seule voie possible pour un
croyant ». Réfugié avec les siens dans les montagnes, il se livrait à des
incursions audacieuses contre les villes avoisinantes et s’échappait dès lors
qu’on lui signalait l’arrivée d’une armée. Moussa Ibn Azim, mécontent que
l’émir ait refusé de lui accorder une grosse somme d’argent en récompense de
ses services, se rallia à lui mais ne fut pas suivi par les siens. Les Berbères
se moquaient de Shakya qui reniait ses origines en se prétendant Arabe. Les
deux autres fils d’Azim Ibn Zyad, Amr et Zyad, condamnèrent publiquement
l’initiative de leur frère et, l’ayant capturé, le livrèrent au monarque qui le
fit exécuter. Avant de mourir, le traître révéla à Abd al-Rahman qu’il avait
pris conseil auprès de Badr et que celui-ci, sans l’encourager, s’était abstenu
de le dénoncer. L’émir convoqua son plus vieux compagnon :
— Moussa Ibn Azim a formulé
contre toi de graves accusations auxquelles je ne puis croire. Je les prends
pour des mensonges éhontés.
— Noble seigneur, toute ma vie,
je t’ai servi loyalement et j’ai consacré mon énergie à te permettre de devenir
le souverain de ce pays. Tu n’as pas de conseiller plus dévoué que moi. Je
l’avoue, j’ai commis une erreur dont je me repens amèrement. Quand Moussa Ibn
Azim m’a parlé de ses projets, je n’y ai accordé aucun crédit. À mon avis, il
ne souhaitait qu’une chose : que j’intercède auprès de toi en sa faveur.
Je ne le voulais pas et ne pouvais imaginer qu’il rejoindrait Shakya ainsi
qu’il menaçait de le faire. J’ai préféré ne pas t’en parler pour ne pas t’inquiéter.
Quand il est entré en dissidence, j’ai eu peur que tu me reproches de ne pas
t’avoir prévenu et j’ai vainement espéré qu’il serait tué au combat. Voilà, tu
sais tout de cette lamentable affaire et tu peux me châtier si tel est ton
désir. Je n’ai pas peur de la mort.
— Badr, ta franchise t’honore.
Tu as commis une grave faute et tu ne fais rien pour te disculper. Nous nous
connaissons depuis trop longtemps pour que je t’inflige une condamnation
infamante que tu ne mérites pas d’ailleurs. Mais l’affaire a fait trop de bruit
pour que je te conserve ton poste de principal conseiller. J’ai décidé de te
nommer gouverneur d’Ishbiliya car l’actuel wali ne m’inspire pas confiance.
Pour les autres dignitaires de la cour, cela apparaîtra comme une disgrâce et je
ne ferai rien pour dissiper la rumeur. En fait, sache que ta mission est vitale
pour la paix de ce royaume. Je me méfie de cette ville et de ses habitants qui
ont la rébellion dans le sang. À toi de les mater pour que l’envie de s’opposer
à moi leur passe définitivement. C’est une tâche ardue et je ne puis la confier
qu’à un homme dont j’ai toujours éprouvé la loyauté.
— Abd al-Rahman, tu n’auras pas
à regretter la mansuétude que tu manifestes à mon égard.
Dans ses nouvelles fonctions, Badr
fit merveille. Découvrant à temps un complot ourdi par les chefs yéménites
d’Ishbiliya, Abd al-Ghaffar et Haiyat Ibn Mulamis, il quitta discrètement la
ville et attendit l’arrivée de renforts de Kurtuba. Puis il lança une offensive
foudroyante contre les rebelles qui furent écrasés sur les berges du Wadi
Kais [54] . Toutes communautés confondues, les habitants de cette cité furent condamnés à
payer un tribut qui s’élevait à plusieurs centaines de milliers de pièces d’or.
C’était un véritable trésor. Abd
al-Rahman put, grâce à lui, réaliser un rêve qui lui tenait à cœur depuis
longtemps. Il avait passé une partie de sa jeunesse à al-Rusafa, un merveilleux
domaine construit par son grand-père Hisham, à mi-chemin entre Palmyre et
l’Euphrate. Un système d’irrigation mis au point par des ingénieurs grecs avait
permis de faire surgir, en plein désert, des
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