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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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l’aigle qui avait servi leur chasse. Ils avaient rattaché ce dernier à son plot, pris le temps de goûter aux délices de Janisse avant de revenir pour prévenir l’homme qu’une des pattes de l’oiseau avait souffert d’une de ses attaques.
    Algonde les avait cueillis alors qu’ils le quittaient.
    Restée seule avec Petit Pierre pendant que Constantin montait voir sa mère, Algonde n’avait pas été longue à l’inviter à s’asseoir sur une pierre, à l’ombre, pour qu’il lui raconte comment le faucon s’était blessé. Prétexte. Un piqué sur un hérisson, avait-il dit en riant avant de lui raconter la course effrénée des lapins pour échapper à la menace et la flèche qu’il avait décochée avant qu’un des deux animaux en soit rattrapé.
    De là, elle avait amené la conversation sur Choranche, sur la main qui l’avait aidée, pour la première fois, à bander son arc. Comme l’avait espéré Algonde, Mathieu s’était installé entre eux. Et, avec lui, le souvenir effroyable de sa triste fin.
    Pressant plus fort contre elle le garçonnet, secoué de sanglots, elle tenta d’apaiser les battements désordonnés de son propre cœur. Elle avait besoin de détails. D’un détail en particulier, qu’Hélène n’avait su lui donner.
    — J’ai une question à te poser, Petit Pierre, une question terrible…
    Il renifla.
    Algonde puisa dans ce soupçon d’assentiment les raisons de son courage.
    — Tu as vu le sang couler du nez de ton père. Il ne bougeait plus et tu t’es jeté sur lui quand Luirieux l’a frappé du pied. C’est bien cela n’est-ce pas ?
    — Oui, affirma-t-il d’une voix morte, empesée d’un nouveau sanglot.
    Algonde ne le laissa pas déborder. Plus tard. Il pleurerait plus tard. Elle avait besoin de savoir. Maintenant.
    Elle détacha d’elle le garçonnet pour planter son regard dans le sien, délavé.
    — Es-tu sûr que son cœur s’était arrêté ?
    Foudroyé par son sous-entendu, le désespoir de Petit Pierre mourut dans un hoquet. Il la fixa avec gravité.
    — Réfléchis bien. Concentre-toi…
    Le cœur enfiévré, il ferma les yeux. Retourna là-bas en pensée. Sur la paille de l’écurie. Gémit et s’agita, arrachant à Algonde un sentiment de culpabilité, puis retint son souffle. Elle respecta son silence, devinant qu’à l’intérieur, l’oreille collée à la chemise poussiéreuse de son père, il écoutait.
    Lorsqu’un petit cri de surprise lui échappa, elle sentit en elle tout son être s’embraser. Petit Pierre écarquilla les yeux, fébrile.
    — Je me souviens. Ma joue s’est soulevée, juste au moment où Torval m’a arraché à lui. C’est ça. Juste avant. Il respirait, Algonde. Papa respirait.
    Algonde porta la main à sa bouche pour s’empêcher de hurler de joie. L’autre ramena Petit Pierre sur son cœur.
    — C’est bien, mon fils. C’est bien.
    — Comment l’as-tu su ? demanda l’enfant entre le rire et les larmes.
    — Une intuition… Une certitude. Je l’aime trop, Petit Pierre. Il ne peut pas s’en être allé.
    Petit Pierre ne demandait qu’à la croire, mais il revit le corps brinquebaler en travers de la selle de Ronan de Balastre. Le doute le reprit, plus sournois encore.
    — Même s’il était vivant quand ce chien l’a jeté dans la rivière, il était inconscient. S’il s’était pas noyé, il serait revenu nous chercher…
    Algonde ferma les yeux. Une seconde. Petit Pierre ne pleurait plus. Il attendait qu’elle le détrompe, elle le sentit. Elle aurait dû souscrire à son verdict, l’accepter une fois pour toutes, ne pas l’enfermer dans un espoir insensé. Elle en fut incapable. Tout en elle le niait.
    — Je ne sais pas pourquoi il ne l’a pas fait, Petit Pierre. À cause de Luirieux peut-être. Ou pour d’autres raisons qui nous sont obscures, mais je le sens en moi. Depuis deux nuits je le sens en moi de nouveau. Il est vivant. J’en suis persuadée.
    — D’accord, admit-il en la repoussant. Elora saura bien nous montrer la vérité. Jusque-là, faut rien dire.
    Algonde admira sa détermination et sa sagesse.
    Elle l’embrassa sur la joue, emplie d’un amour de mère.
    — Tu as raison. Ce sera notre secret.

47
     
    Qu’est-ce que la mort, en vérité ?
    Un long glissement vers l’oubli, un frisson plus intense que d’ordinaire, la certitude de l’inéluctable ? La guérison d’une vie ? Peut-être tout simplement l’acceptation d’une fin. Dans

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