Thalie et les âmes d'élite
venue.
Pendant la récréation du midi, le 2 novembre, le garçon assistait à sa première réunion en tant que congréganiste.
En guise de bienvenue, ses confrères entamèrent un chant pieux. Puis un prêtre d’une cinquantaine d’années prit la parole à l’intention du petit cénacle.
— Vous êtes réunis ici parce que vous désirez faire de la Vierge Marie votre protectrice, votre guide, votre rempart contre les tentations du démon...
Ces prétentions se trouvaient sans cesse répétées dans toutes les écoles catholiques de la province de Québec. Pour les filles, la mère de Jésus servait de modèle. La situation offrait un paradoxe que tous les pédagogues en soutane ne paraissaient pas saisir : cette Vierge devait entre autres leur inspirer... la maternité.
Pour les garçons, cela devenait plus étrange encore :
— Deux femmes détermineront tout le cours de votre existence. D’abord, votre mère terrestre, celle qui vous a donné la vie. Elle vous a porté, vous a nourri. Surtout, elle vous a éveillé à la religion, vous a montré vos premières prières. Près d’elle, vous vous êtes agenouillé pour invoquer
« le petit Jésus qui est au ciel ». Tous, vous vous rappelez ces mots.
Et, réellement, tous les garçons rassemblés là où dominait une statue de Marie en plâtre, le cœur transpercé de sept poignards, pouvaient convenir de la véracité de l’assertion. La voix maternelle avait pu paraître aimante ou cassante, le geste doux
et
enveloppant,
ou
alors
brusque
et
sans
tendresse sincère, mais les paroles avaient été celles-là.
— Vous avez une autre maman, continua l’abbé Verville, plus importante que celle de vos premiers pas, de vos premières paroles, une mère céleste celle-là : la Vierge qui a donné son amour au petit Jésus, et qui nous fait la grâce, à chacun d’entre nous, de nous offrir la même affection.
Dans toutes les chambres des prêtres des Petit et Grand Séminaires, la présence d’une image ou d’une statue de Marie semblait à la fois étrange et touchante. Ces célibataires voués à la chasteté retrouvaient des mots d’enfants pour s’adresser à leur mère du ciel.
La vingtaine de garçons âgés entre douze et vingt ans fixaient de grands yeux sur le prédicateur. Tous avaient exprimé, certains avec plus de conviction que d’autres, leur intérêt pour la vocation sacerdotale. Les corps immobiles et les regards attentifs n’empêchaient pas toujours les esprits de vagabonder.
Juste devant Raymond se trouvait un «petit» pensionnaire de Syntaxe,
la
seconde
année
du
programme
des
humanités. Louis, le fils d’un notable de la campagne, offrait à ses yeux, sans le savoir, sa nuque nette, fraîche. La coupe des cheveux des écoliers figurait parmi les tâches diverses du portier de l’établissement. L’exercice n’était pas trop exigeant : il se contentait de passer la tondeuse sur toute la surface du crâne.
En conséquence, une toison fine et blonde laissait entrevoir la peau. La lumière venue d’une fenêtre donnait à la nacre des oreilles une teinte rosée. Pendant que le professeur disait «A cette maman céleste, vous pouvez tout demander, elle intercédera pour vous auprès du petit Jésus», l’adolescent songeait combien glisser sa paume sur ces cheveux très courts serait agréable. Un très bref instant, il imagina s’incliner pour y appuyer son visage, déposer un léger baiser sur le haut du cou.
Puis il se ressaisit, serra très fort la main sur le haut de sa cuisse, forçant les pointes en cuivre à s’enfoncer dans sa chair.
— À deux femmes, continuait le prêtre, vous devez la vie naturelle et la vie spirituelle. Toutes les autres femmes peuvent vous apporter la mort. Celle du corps peut-être, avec toutes les maladies hideuses que transportent les marchandes de plaisirs immondes, et certainement celle de l’âme. Pour tous les garçons, la menace des autres femmes plane sans cesse. Mais pour ceux qui ressentent le désir de se consacrer à Dieu, elle prend une dimension particulière.
Imaginez la satisfaction du démon incarné dans la première Eve, puis dans toutes les filles de la première femme, quand il arrive à priver notre Créateur de l’un de ses serviteurs.
L’esprit de Raymond allait sans cesse du danger de damnation éternelle à la nuque d’un blond doré devant lui.
— Mes enfants, pour vous garder de ce fléau, mettez-vous à genoux et sortez
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